Après une première compilation augurant de belles promesses, le label Pocket Heaven, structure parallèle de l’asbl Panoplie, enfonce le clou. Et c’est l’Italien Giovanni Ferrario, pilier de la scène underground italienne, qui s’y colle avec un premier jet solo Headquarter delirium. Actif depuis de nombreuses années, Ferrario s’est notamment fait remarquer dans la formation Micevice au milieu des années 1990, avant de rempiler comme membre à part entière de The Free Spirit de Hugo Race, (bluesman urbain et australien ayant fait partie de la première mouture des Bad Seeds de Nick Cave), ainsi que de nombreuses collaborations en tant que musicien de studio ou producteur. On pourra aussi l’entendre sur le prochain effort commun de PJ Harvey et John Parish.
Ces princes de la nuit mentionnés plus haut ont trouvé en Giovanni Ferrario un alter ego transalpin privilégiant ces mêmes ambiances entre chien et loup. Doté d’un timbre graveleux et d’un phrasé particulier rappelant à plus d’un titre Lou Reed, Iggy Pop, voire Nick Cave, Ferrario fait évoluer cette voix fatiguée qui semble avoir beaucoup vu et vécu dans la langue de Shakespeare sur plus d’une heure. Seulement voilà, sa voix ne possède pas cette patine fascinante qui fait que même la lecture de bottins téléphoniques par ces trois croonantes icônes reste un acte hypnotisant et parfois passionnant. Heureusement pour l’homme, cette lacune toute relative est fortement contrebalancée par des arrangements riches et une approche fort personnelle et iconoclaste des canons de la pop. Vous ajoutez à cela un jeu de guitare souvent inspiré et vous avez une vague idée du personnage.
L’album commence de manière assez banale par un Story of your life assez linéaire. Mais peu à peu, les influences se télescopent de plus en plus, Ferrario invitant aussi bien ses marottes sixties et seventies que des nuances bastringue ou électroniques, sans oublier des ambiances cinématiques. La nuée d’invitées parmi lesquels on remarque Hugo Race (poussant même la chansonnette sur un titre coécrit par ces deux amis) contribue aussi pleinement à cette mue providentielle en bateau ivre, où le cap est cependant fermement maintenu par Ferrario, tour à tour Monsieur Loyal, dompteur de blues sauvages, Pierrot Lunaire ou acrobate émérite.
Dès le deuxième morceau Easy to forget, un sifflement essaie de se frayer un chemin entre les mellotrons et pianos dignes d’un Strawberry fields forever, alors que Ferrario se prend pour Lou Reed à Berlin. Suit New car construit sur un orgue très Charlatans, plus anecdotique car les télescopages ne prennent pas, malgré un sax imbibé pendant le chorus.
Le très beau War’s over aux cuivres envoûtants sur une rythmique électronique et squelettique ressort après quelques écoutes comme l’un des sommets de cet album. Elsewhere nous donne envie de passer à autre chose jusqu’à ce que le final se mue en marche psychédélique sauvant la mise. Le morceau éponyme et instrumental Delirium headquarters évolue sur une trame toute simple et butine de manière aérienne. Les rythmiques Motoriques, empruntés au krautrock qui accompagnent de graves accords de piano sur Honeymoon in Tribeka, confèrent à ce morceau un cachet obsédant avant qu’un plan de guitare bluesy donne une touche d’humour inattendue, tout en maintenant cette course échevelée contre le temps qui s’efface sous les pieds.
Baisse de ton et approche toutes guitares devant, avec une Slide panoramique sur le pantouflard et contemplatif Echoes never die. Tandis que le Holy freebased blues fait monter une sauce sur fond de guitares épiques qui aboutit en un refrain très Young Americans cher à Bowie par des saxophones assez gays. Sea song, qui suit, sombre corps et bien dans l’AOR (adult oriented rock) bien flasque.
Heureusement Liv’s tale et sa délicate mélodie crépusculaire scotche notre attention. Sur Cathode ray conversions, on s’enfonce irrémédiablement dans un marécage. L’élégant Beast avec voix féminine instille une ambiance de bar jazz enfumé avant que le minimaliste Basically naked porté par la voix de Hugo Race vienne clore l’album.
Imposante œuvre, à défaut d’être majeure, ce Headquarter delirium dévoile un artiste versatile qui aime s’essayer à tout et prendre des risques.