Dans une semaine très précisément, l’Expo 2020 Dubaï ouvrira ses portes. Plus de 25 millions de visiteurs sont attendus, quelque 200 pays et organisations internationales y tiendront pavillon, sur une zone de 4,32 km2. Si les expositions universelles ont toujours été le lieu idéal pour présenter les pays et leurs entreprises (pour le Luxembourg, c’est le ministère de l’Économie qui est le moteur de la participation), se montrer à Dubaï n’est pas anodin. Dubaï n’est pas Milan (où le Grand-Duché n’était pas présent en 2015) ou Osaka (qui organise l’Expo 2025).
La semaine dernière, le Parlement européen a exhorté les États membres à boycotter l’Expo 2020 en signe de désapprobation à l’égard du bilan des Émirats arabes unis (EAU) en matière de droits de l’homme, alléguant une « persécution systématique des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes, des avocats et des enseignants ». La détention du militant émirati, Ahmed Mansoor, est au cœur de cet appel, mais au-delà, le texte cherche à mettre en lumière le glissement autoritaire des EAU. Ainsi la résolution dénonce « que les femmes restent victimes d’une série de lois et pratiques discriminatoires » et « les pratiques inhumaines à l’égard des travailleurs étrangers ». Sans compter l’impact environnemental des constructions mégalomanes de gratte-ciel démesurés, d’îles artificielles, de pistes de ski indoor, de golfs et d’aquariums géants (d’Land du 07.02.2020)…
Les Émirats réussissent à faire diversion à travers des investissements dans le soft power : musées, plages, centre commerciaux, concours et compétitions de tout acabit (dont une séries de records assez farfelus comme la plus grande boule de Noël ou le plus grand parasol au monde), fêtes somptueuses relayées par des « influenceurs » de tous poils. Et l’Expo 2020 fait partie de cet arsenal.
Alors, certes, le Luxembourg entretient des relations bilatérales étroites avec les Émirats depuis longue date comme le rappelle le site du groupement d’intérêt économique chargé de l’organisation du pavillon luxembourgeois (qui joue les offices du tourisme en vantant « le sable qui a laissé la place à l’une des villes les plus modernes au monde, avec de larges autoroutes et des réseaux de tram et de métro sophistiqués »). Alors, certes, bon nombre d’autres pays ne sont pas des modèles de démocratie, ce qui n’empêchent pas les touristes de s’y précipiter et les contrats de s’y conclure. Alors, certes, toutes les expositions universelles comportent un volet culturel qui promeut les artistes des différents pays.
Pour autant, on peut s’étonner de voir huit de nos artistes accepter de participer à la très courte programmation culturelle qui se tiendra au pavillon du Luxembourg en janvier prochain (deux semaines sur six mois d’exposition). Ils y ont été en visite pendant quatre jours, ont rencontré nombre d’intervenants, y compris des étudiants et des artistes, ont insisté pour aller voir le désert (en plus du programme qui leur était proposé). Ils ont hésité à entrer dans le moule d’un type d’exposition qui s’avère un peu obsolète. Ils ont finalement développé un concept novateur sous le titre Mir wëlle bleiwen, wat mir ginn. Les projets brassent des aspects très variés : Une anthologie de poésie luxembourgeoise traduite en arabe et en anglais (Guy Helminger), une réinterprétation poétique des Péckvillecher (Julie Conrad), une sculpture et des performances réalisées par des artistes vivant sur la route entre Luxembourg et Dubaï (Renelde Pierlot et Simone Mousset), trois sculptures audiovisuelles racontant leur histoire (Patrick Muller), un film documentaire et fiction autour du couvent de Cinqfontaines, camp de rassemblement pour les Juifs avant leur déportation (Karolina Markiewicz et Pascal Piron), et un film sur un jeune syrien rattrapé par son passé (Adolf El Assal).
Tout qualitatif soient-ils, comme l’est la démarche collaborative, ces projets n’ont que peu de liens avec la situation particulière de Dubaï. Leur but est plutôt d’interroger l’identité luxembourgeoise, la manière dont le pays se montre ou veut être vu. C’est dommage. Cette présence à l’Expo 2020 aurait été l’occasion de noyauter le système, de s’y infiltrer pour le dénoncer, l’infléchir, le désorganiser. Une occasion qui risque d’être manquée. Les mêmes questions se poseront lors de la Coupe du monde de football au Qatar en 2022. Mais la réponse du Luxembourg sera beaucoup plus facile à trouver : On n’y sera pas. Il y a infiniment peu de chance qu’on soit qualifié.