d’Land : L’avant-projet de loi portant création d’un « établissement public nommé Kultur LX - Arts Council Luxembourg » a été présenté ce jeudi aux députés de la commission de la culture. Pourquoi est-ce important d’établir Kultur LX en établissement public ?
Diane Tobes : C’est essentiel pour la pérennité de la structure. Le fait que l’établissement public, sa dotation budgétaire, ses missions, son fonctionnement soient inscrits dans la loi nous offre une visibilité à long terme. Cette forme juridique nous garantit aussi une certaine autonomie et indépendance dans notre gestion et dans nos choix. Kultur LX sera ainsi ancré dans le paysage culturel dans sa double fonction de soutien national et international, avec un comité de direction de deux personnes pour ces deux aspects.
Pour développer cette structure, d’abord en asbl, vous avez lancé une série d’appels à candidature, au printemps dernier. Comment s’est fait le recrutement ? Les postes sont-ils désormais attribués ?
Valérie Quilez : Les candidatures reçues ont été évaluées à la fois par nous et par un comité de recrutement qui était composé de membres du conseil d’administration et de personnalités externes, représentant des associations ou des fédérations, en lien avec les secteurs.
D. T. : 150 candidatures ont été déposées en provenance de neuf pays. On a reçu plus ou moins de candidatures selon les secteurs, neuf pour la littérature, cinquante pour la communication...
V. Q. : Après une présélection, 27 entretiens de premier tour ont été menés, puis neuf de second tour, après une production écrite, également soumise au comité de recrutement. Le conseil d’administration a finalement validé nos choix. Je peux dire qu’on est heureuses et fières des profils que nous avons pu attirer. Ce sont tous des choix réels, de cœur, jamais par défaut. On assume complément cette équipe qui correspond à ce que nous voulons impulser avec Kultur LX. C’était par exemple essentiel de choisir des professionnels qui ont déjà un ancrage international, ce qui nous permettra d’avancer plus vite sur ces réseaux-là. Mais aussi des personnes qui ont une ouverture et une envie de découvrir la scène luxembourgeoise et de s’y impliquer pleinement, avec enthousiasme et objectivité.
D. T. : Nous avons pu tenir le calendrier que nous avions déterminé en trouvant des personnes qui vont pouvoir sauter dans la machine et utiliser avec passion et énergie les outils que nous avons mis en place. Les artistes et tout le monde de la culture sont impatients de les voir à l’œuvre. Maintenant, on peut vraiment se lancer.
En quelques mots, qui sont les personnes que vous avez recrutées et qui seront les chevilles ouvrières de vos actions ?
V. Q. : La première a été Émilie Gouleme, comme responsable de la communication. Elle travaille depuis plus de dix ans dans la communication et l’événementiel au Luxembourg. Elle connaît la scène culturelle et celle de la communication. Il nous importait d’avoir quelqu’un qui puisse gérer la communication globale de la structure Kultur LX, mais aussi de porter de l’attention aux différents secteurs, avec les responsables, dans le détail des projets et actions. C’est une sorte de couteau suisse qui va travailler avec de nombreux prestataires, notamment lors d’événements d’envergure, comme la Frankfurter Buchmesse qui s’annonce.
D. T. : Avant cela, Aviva Rübel, qui a travaillé pour Reading Luxembourg, nous a rejoint pour reprendre ses fonctions de chargée de mission pour la Littérature et l’édition. Elle assure ainsi une certaine continuité et transition douce. Son expérience et les contacts qu’elle a déjà noués avec les éditeurs sont précieux. On peut déjà le voir pour les préparatifs de Francfort.
V. Q. : Le responsable du département Littérature et édition est Jean-Philippe Rossignol. C’est une personne qui a une expérience très large : Il a été éditeur en France, auteur, critique, commissaire d’expositions, organisateur d’événements comme les Nuits de la poésie ou le Festival Lettres d’Europe et d’ailleurs… Il connaît bien Luxembourg pour avoir été le président de la Cie Ghislain-Roussel et avoir écrit des textes pour le Centre national de la Littérature. Pour le spectacle vivant, nous accueillons Victor Mayot qui arrive de Bruxelles où il travaillait pour l’IETM (international network for contemporary performing arts), un important réseau international. Cet aspect de son parcours nous a beaucoup intéressées car il a des contacts internationaux, une bonne connaissance des problématiques du secteur qui ne sont pas spécifiquement luxembourgeoises : diffusion, accompagnement des artistes, les enjeux liés au Covid… Il a déjà rencontré le secteur de la danse lors d’Aerowaves, il y a quelques semaines. Pour l’instant, il n’a pas de chargé de mission à ses côtés, mais on n’est pas seuls : on travaille évidemment avec le 3CL ou la Theater Federatioun...
D. T. : On sent son envie de découvrir ce qui se passe ici. Il apporte une vue fraîche sur le secteur et une plus value de réseautage international de manière très pro-active. Ajoutons les personnes de Music:LX qui font partie intégrante de Kultur LX, Giovanni Trono comme responsable du département, Zachary Glavan pour les musiques pop/rock/electro/r&b/hip-hop et maintenant Clémence Creff pour le classique et contemporain. Elle a travaillé dans une agence d’artistes à Paris. Elle a été jetée dans le bain immédiatement avec l’organisation des Luxembourg Classical Meetings (qui se tiennent encore ce vendredi, ndlr), ce qui aide à nouer les contacts.
Et pour les arts visuels ?
V. Q. : Une personne a été recrutée. Elle arrive le 4 octobre, on en parlera à ce moment-là. C’est comme ça qu’on a fait avec les autres.
D. T. : Reste aussi le responsable adjoint administratif et financier, Ludovic Prost, qui a passé 22 ans auprès de RTL-Group. Il va travailler à la structuration financière de Kultur LX. Bien sûr, à l’avenir, les secteurs Architecture, design, métiers d’art et Arts multimédia et numériques se verront dotés de responsables, mais pas avant 2022.
Vous l’avez dit, vous n’êtes pas seuls. Comment s’organise la subsidiarité par rapport à ce qui existe déjà en matière d’aides ?
V. Q. : Ce qui est déjà clair pour le moment, ce sont les axes que nous allons soutenir : développement de carrière, diffusion et promotion. Les dispositifs d’aides qui existent déjà pour ces aspects ne sont plus distribuées ni par le Fonds culturel national (Focuna), ni par le 3-CL, ni par le ministère de la Culture. Tous renvoient les demandes vers nous. On tisse les lignes avec les différents partenaires.
D. T. : Il est important de dire qu’il n’y aura pas de trou. Si une aide n’existe plus sous une certaine forme auprès des bailleurs habituels, Kultur LX la reprend, peut-être avec un autre nom ou en l’affinant. La pratique nous aidera à préciser les choses pour que personne n’y perde.
V. Q. : On a procédé à une analyse très complète des aides existantes, pour voir quelles étaient les dénominations, les cibles. On ne lira pas forcément les mêmes termes et intitulés – les aides de Kultur LX sont classées en fonction les trois axes de soutien – mais tout le monde va s’y retrouver.
D. T. : Nous avons aussi détecté des besoins et réfléchi comment améliorer certains dispositifs et comment apporter une plus-value pour que les secteurs reçoivent l’aide dont ils ont besoin.
Vous allez donc reprendre les budgets que les autres distribuaient ?
V. Q. : Ce n’est pas encore tout à fait le cas. C’est en discussion, au cas par cas, avec nos partenaires. Par exemple, certaines bourses du Focuna sont liées à d’autres bailleurs et mécènes. Il faut prendre le temps de discuter et de voir ce qui est faisable. Il faut que chacun se sente en confiance et bien abrité de travailler avec nous. On peut dire qu’à partir de 2022, les programmes de résidences soutenus par le Focuna nous incomberont. Nous avons même déjà repris la résidence chorégraphique à Annonay, pour laquelle nous avons lancé l’appel à candidature. La passation des conventions est en cours pour que nous soyons opérationnels pour chacun des programme.
Vous n’avez pas vocation à soutenir la production ?
V. Q. : Pour l’instant, l’aide à la création ne fait pas partie de nos missions. Le ministère de la Culture garde son rôle fondamental de conventionnement et de structuration du secteur qui comprend l’aide à la création. Ensuite, les créations doivent aussi être portées par les institutions qui diffusent : on ne peut pas soutenir une création qui n’est pas ancrée, qui n’a pas de perspective de diffusion. En revanche, l’aide à la recherche, qui ne soit pas liée à un lieu, à une résidence, une date de production, sera sans doute le prochain terrain à développer. On a entendu les artistes, notamment de spectacles vivants qui ne veulent plus produire pour produire et qui ont besoin de temps pour développer leurs idées, leurs projets en dehors du cadre d’une création donnée. C’est un aspect qui n’est couvert par personne pour l’instant.
Vous avez communiqué sur les premières aides attribuées. Ce sont de nouveaux dispositifs ?
D. T. : La vingtaine de projets que nous avons déjà pu soutenir concerne des aides qui existaient déjà. La date de dépôt de dossier pour nos nouveaux programmes n’est pas encore atteinte. Des demandes arrivent encore. Il faut que les bénéficiaires potentiels puissent prendre connaissance de ces possibilités.
V. Q. : Ce qui est encourageant est de voir que les personnes qui ne sont pas certaines de savoir ce qui leur correspond, nous contactent pour être accompagnées, être sûres d’être éligibles, de bien remplir le dossier… Quand nos aides ne correspondent pas à ce que les artistes recherchent ou que leur profil ne cadre pas avec nos critères, nous tâchons de les aiguiller vers d’autres dispositifs ou nous réfléchissons à faire évoluer nos propositions.
Les aides que vous attribuez sont destinées à des artistes déjà professionnels ou en voie de l’être. Comment soutenir les tous jeunes qui débutent ?
V. Q. : C’est précisément ce que je veux dire en aiguillant vers d’autres. Il y a des institutions qui soutiennent les new comers, par exemple dans la musique comme le Rock Lab, les Rotondes. C’est le cas aussi du travail réalisé au Casino Display vers les écoles d’art… On voit apparaître ces artistes émergeant lors d’appel à candidature pour des bourses ou des résidences. Peut-être ne sont-ils pas encore éligibles pour ces projets-là, mais on peut les mettre en contact avec d’autres qui peuvent leur ouvrir d’autres portes.
D. T. : Il faut prendre le temps de la discussion pour trouver d’autres pistes ensemble.
Vous avez constitué des comités de sélection par secteur. Quand et comment vont-ils être consultés ?
D.T. : On prévoit des rencontres régulières, pour l’instant sans date fixe. Les comités ne seront pas seulement là pour statuer sur des montants ou des dossiers, mais aussi pour être des caisses de résonance représentatifs d’un secteur. On attend d’eux qu’ils fassent remonter des informations, des enjeux, des demandes. C’est un endroit où on peut tester des idées en profitant de leur expérience.
Luxembourg étant ce qu’il est, où tout le monde se connaît, le risque de conflit d’intérêts dans ces comités n’est jamais loin. Comment envisagez-vous cette question ?
D.T. : Il y a d’abord un code de déontologie que tous les membres des comités de sélection ont signé.
V. Q. : Surtout, pour chaque aide, il y a des critères d’éligibilité, précis qui sont les critères d’évaluation. Kultur LX accompagne les comités pour veiller à ce que le sujet des débats soit bien le contenu des dossiers, le projet artistique et pas les personnes. En plus, les membre des comités ne sont pas seulement représentant d’eux-mêmes, mais d’une institution, une fédération, une association. C’est aussi une responsabilité de servir leur secteur.
En matière de diffusion et de promotion, certains acteurs du secteur privé peuvent bénéficier d’aide. C’est assez nouveau…
V. Q. : … Quand ils ont une vocation culturelle. Ce n’est pas si nouveau, les éditeurs par exemple sont soutenus depuis longtemps. La présence d’artistes luxembourgeois sur des foires internationales offre une visibilité importante. Mais pour un galeriste, par exemple, faire le choix d’exposer un artiste luxembourgeois, c’est peut-être plus risqué, moins rentable qu’un nom international. Le coup de pouce (qui ne dépasse pas 5 000 euros, ndlr), peut l’insiter à plus d’audace pour soutenir un artiste luxembourgeois. Une galerie ou une institution étrangère, un festival à l’étranger peuvent aussi demander une aide pour faire venir des artistes luxembourgeois. Cela nous donne la chance de nouer des liens avec eux sur le long terme et peut-être de leur faire découvrir d’autres artistes.
Vous invitez aussi les étrangers à venir voir la scène ici.
D. T. : C’est sans doute la meilleure manière de faire connaître nos artistes. Ces plateformes ou focus sont très efficaces pour favoriser les rencontres et montrer la création locale.
V. Q. : Le Luxembourg Classical Meeting de cette semaine va par exemple faire venir quinze délégués internationaux : agents, directeurs de festivals, programmateurs de salle de musique baroque, classique et contemporaine, ce qui correspond à la disparité du secteur au Luxembourg. Le public est d’ailleurs le bienvenu. Lors de la Luxembourg Art Week, le monde de l’art contemporain sera concentré ici, c’est le moment de faire venir des commissaires d’expositions, des critiques.