Cocon créatif « Peut-être le meilleur été de ma vie ». L’autrice Élise Schmit ne tarit pas d’éloge sur la résidence au Literarisches Colloquium Berlin (LCB) à laquelle elle a participé en 2019. « D’autres auteurs, Ian De Toffoli ou Jeff Schinker, m’avaient dit le bien qu’ils en pensaient, le lieu me paraissait parfait pour me concentrer sur l’écriture, ce qui m’a poussée à postuler ». Cette année-là, cinq auteurs s’étaient porté candidat pour passer huit à dix semaines au bord du lac Wannsee dans ce lieu fondé en 1963 par Walter Höllerer qui accueille écrivains, traducteurs et maisons d’édition du monde entier. Comme pour les autres résidences gérées par le Fonds culturel national (Focuna), c’est un jury de professionnels du secteur (avec l’artiste qui a participé l’année précédente) qui a sélectionné sa candidature (c’est à la direction du LCB que revient le choix définitif).
Pendant le temps de la résidence, pas besoin de penser aux factures, aux tracas quotidiens, aux obligations mondaines, « la journée se déroule de façon prévisible et offre une bulle de concentration qui incite au travail », poursuit l’autrice qui a pu notamment terminer une première version de sa pièce Die neuen Todsünden. Être dans un cocon créatif n’empêche pas la rencontre. « Une des grandes réussites de cette résidence est le mélange de profils et de nationalités et les échanges qui en découlent. Certains sont devenus des amis et des personnes avec qui je travaille », relate Élise Schmit. Elle s’est notamment vu proposer la participation à un jury littéraire en Suisse. Pendant la durée du séjour, lectures, ateliers, séminaires et rencontres littéraires sont organisés, mais c’est le « vivre ensemble » qui permet de tisser des liens. « Quand on est chez soi, on est seul face à son travail. Au LCB, j’ai pu échanger avec d’autres auteurs, me faire relire, écouter des commentaires. Ça permet de débloquer certaines situations. »
Cette balance entre une mise entre parenthèses solitaire et un échange nourri avec d’autres artistes est aussi ce qu’à vécu Stéphane Ghislain Roussel, le premier bénéficiaire de la résidence de recherche et de création à l’Academia Belgica de Rome en 2020 (ils étaient neuf à postuler). « Malgré les restrictions liées à la pandémie, mon séjour s’est déroulé sous les meilleurs auspices. Je peux dire avoir passé parmi les plus belles semaines de ma vie artistique », résume le metteur en scène, spécialiste de l’opéra. Dans le rapport qu’il a rendu au Focuna (c’est une des obligations des bénéficiaires, le Fonds pouvant exiger le remboursement de la bourse en l’absence de rapport), il se fait lyrique : « Du bâtiment et son charmant jardin, à flanc du Parc de la Villa Borghèse, émane un silence apaisant qui joue du contrepoint avec le chant des nombreux oiseaux, propriétaires des lieux… un contexte particulièrement vivifiant et inspirant. » Face au Land, Stéphane Ghislain Roussel insiste sur « des conditions idéales de calme, mais aussi une envie collective d’échanges, de rencontres, de collaborations et de bons moments ensemble. »
Pas des vacances Ce que le metteur en scène retient, c’est l’absence de pression et de contrainte pendant cette résidence de recherche, qui vient en amont d’un travail de création. « À la différence des résidences de création, il n’est pas demandé aux artistes de montrer un résultat de ce qui a été entrepris pendant le séjour. Ça ne veut pas dire que ce sont des vacances, mais ça libère l’esprit pour avancer sur des projets futurs. J’ai pu faire un grand pas dans ma réflexion artistique et parvenir à la naissance d’un nouveau chapitre dans mon travail. » Habitué des résidences, surtout en France, Stéphane Ghislain Roussel compare : « On demande des présentations de sortie de résidence, mais, souvent, le spectacle n’est pas du tout abouti, ne ressemble pas à ce qu’il finira par être. Pourtant, on est confronté à un public et même à des programmateurs », souligne celui qui a par exemple travaillé dans sept résidences pendant deux ans pour son spectacle musical pour jeune public Le cri du lustre.
Aux artistes plasticiens, il est généralement demandé de produire une exposition ou de montrer des œuvres réalisées sur place. Une contrainte qui peut s’avérer difficile comme le souligne Eric Schumacher qui a passé six mois à la Künstlerhaus Bethanien de Berlin l’année dernière. « Divers événements m’ont obligé à présenter une exposition à peine deux mois après être arrivé. C’est très court, surtout dans une ville et un atelier qu’on ne connaît pas. Cela m’a causé beaucoup de stress et ne m’a pas permis de développer le projet comme je l’espérais », regrette-t-il. Cependant, une fois cet épisode passé, l’artiste a pu « profiter d’un temps de libre création, avec les autres artistes » et considère finalement cette résidence comme une bonne expérience, « à condition de savoir où on met les pieds ».
Comme il y a de bons et de mauvais chasseurs, « il y a résidence et résidence », résume Jo Kox qui fut la cheville ouvrière de la réorganisation du secteur au sein du Focuna en 2016. Il y a autant de types de résidences que de lieux. Certaines exigent une création, des particpations à des rendez-vous, d’autres pas ; les unes s’organisent autour d’une discipline, les autres sont pluridisciplinaire ; les durées sont variables, assortie d’une rémunération ou non… « Il faut que les deux parties – les lieux et les artistes – soient clairs sur leurs attentes et leurs besoins, sur les moyens financiers, techniques et humains mis à disposition, et sur le résultat attendu », recommande la danseuse et chorégraphe Anne-Mareike Hess, artiste associée à Neimënster, qui a connu des dizaines de résidences partout en Europe. « Selon le moment dans la création, dans la carrière d’une pièce, on a plus ou moins besoin de calme, plus ou moins besoin de contacts et d’influences extérieures.»
Residenz Doheem « Les différentes disciplines artistiques demandent des résidences différentes », constate Ainhoa Achutegui, directrice de Neimënster où plusieurs résidences sont proposées, « les plasticiens préfèrent les temps longs (de plusieurs mois) alors que les compagnies de danse ou de théâtre ont besoin de plusieurs sessions plus courtes. » Actuellement, treize logements et neuf ateliers sont disponibles au sein de l’ancienne abbaye et ancienne prison. Ils sont destinés aux résidences, mais aussi aux artistes qui viennent présenter leur travail, y compris dans d’autres institutions culturelles du pays. Depuis l’année dernière, ce volet de résidence a été renforcé dans le programme et les missions de Neimënster : entre une semaine pour avancer, répéter ou finaliser un projet spécifique, à trois ans et demi pour un artiste-associé (à raison de huit semaines par an). « Nous avons vu que nos espaces ne sont pas toujours adaptés : certains doivent être insonorisés pour pouvoir être utilisés par des musiciens, certains doivent être aménagés pour accueillir des artistes en famille… Des travaux vont être entrepris grâce à un budget spécifique », ajoute la directrice. On lit d’ailleurs dans le rapport 2020 du ministère de la Culture : « Travaux de rénovation à Neimënster pour moderniser les salles de conférence et établir un centre national de résidences d’artistes (+ 810 000 pour 2021, 2022, 2023 à 1,26 millions euros) ».
En effet, en plus des huit résidences où le Focuna est impliqué à l’étranger, d’autres sont proposées au Luxembourg dans diverses institutions. Ainsi, la Kulturfabrik à Esch accueille régulièrement des résidences de création allant d’une à plusieurs semaines et un programme de résidence d’artistes-associés pour trois ans a été créé en 2018, avec un accent sur la création artistique et le soutien aux artistes émergents. Sandy Flinto et Pierrick Grobéty ont été les premiers à bénéficier de ce programme. Contraint de revoir sa programmation en temps de pandémie, le centre culturel eschois a mis sur pied la Squatfabrik où, toutes les deux à trois semaines, un nouveau duo ou trio d’artistes investissent les anciens locaux de la Keramikfabrik. Pendant l’été, ce sont ainsi 25 artistes qui se sont succédé avec, à la fin de chaque semaine une présentation au public. Pour les années à venir, la Kufa souhaite « favoriser les résidences d’expérimentation ou de recherche qui n’ont pas d’obligation de résultat et permettent aux artistes de développer leur réflexion artistique », explique Fatima Rougi, en charge de la communication du lieu.
Sortir de l’aquarium Si l’expérience menée par le Casino Luxembourg entre 2010 et 2015 a fait long feu, elle a été riche d’enseignements. « L’idée était d’inviter un artiste international pendant huit semaines pour réaliser une œuvre dans l’aquarium du Casino », rembobine Christine Walentiny, en charge de ce programme. Le premier appel à candidature a vu 700 dossiers arriver (les suivants tournaient plutôt autour de 400), « un travail de sélection important ». Logés à Neimënster, les artistes recevaient des honoraires, un per diem et la production du projet, « un budget considérable ». Ils étaient encadrés par l’équipe pour les besoins de production. « Nous avons fait de belles découvertes, de belles rencontres et eu le plaisir de certaines œuvres très intéressantes. Mais finalement, le public ne voyait pas la différence avec les expositions organisées dans les salles du Casino et le travail était trop conséquent pour l’équipe ». Une tentative a été menée pour réaliser les œuvres dans l’espace public qui s’est heurtée, notamment, aux travaux et chantiers dans la capitale.
« Nous avions l’ambition de poursuivre ces résidences avec des accueils plus longs. C’est devenu possible quand le ministère de la Culture nous a proposé de prendre en charge l’ancien Beim Engel, devenu Casino Display », poursuit la responsable. Désormais, un artiste bénéficie d’un studio dans le bâtiment de la vieille ville pour six mois. Dans une volonté d’accompagner un artiste jeune et pluridisciplinaire, c’est Andrea Mancini qui a été choisi pour commencer. Il travaille autour du son et de l’image et s’est installé depuis quelques semaines. « Le contrat ne l’oblige pas à présenter une exposition ou une production. Il est cependant impliqué dans le programme et doit assurer des rencontres, formations ou ateliers avec le public ou avec la cible des étudiants et professeurs en art », complète Walentiny en précisant encore qu’il touche un honoraire pendant les six mois de la résidence.
Du nouveau Les Annexes du Château de Bourglinster ont accueilli, depuis 2014, quelque soixante artistes nationaux et internationaux. Un nouveau modèle de gestion est en train de voir le jour depuis le départ du Service d’animation culturelle régionale qui assurait la coordination du site et l’encadrement des artistes. La gestion du site est confiée à un collectif d’artistes pour trois ans (avec un budget annuel de 100 000 euros) . L’idée est de mettre en avant ce « tiers-lieu comme un laboratoire collaboratif de création où se côtoient des artistes de différentes disciplines et pratiques artistiques et publics » comme l’indique le ministère. Le choix du collectif a été fait à la suite d’un appel à candidature dans le cadre du plan Nei Start. La convention est en cours de signature.
Il faudra attendre 2022 dans le cadre de l’année culturelle, puis 2023 de manière autonome, pour voir les premiers artistes s’installer au Bridderhaus à Esch où huit logements avec ateliers sont prévus, donc un pour personne à mobilité réduite. « En plus, il y a quatre ateliers sans logements, une salle de travail et une cuisine communes et un rez-de-chaussée ouvert au public pour des expositions ou des représentations et performance », détaille Christian Mosar, directeur de la Konschthal et du Bridderhaus. Il espère y voir des artistes de disciplines variées et offrir des résidences plus ou moins longues selon les besoins, tout en développant des interactions avec les habitants de la région et des synergies avec diverses institutions culturelles eschoises.
Les résidences au Luxembourg sont en train de changer et de s’adapter pour offrir un encadrement plus professionnel, avec des équipes dédiées, des projets adaptés qui devraient permettre non seulement aux artistes locaux de bénéficier de bonnes conditions de travail dans ces résidences, mais aussi d’attirer des artistes internationaux et d’imaginer ainsi des échanges de résidences, voire des ressources pour les lieux d’accueil, comme c’est le cas à l’étranger. Après avoir visité plusieurs résidences, Ainhoa Achutegui a listé quelques impératifs qu’elle veut mettre en place à Neimënster. « Il faut laisser les artistes tranquilles et ne pas les bombarder de programmes, de visites, de rendez-vous. Mais il faut les encadrer, leur faciliter le travail et les rencontres », énonce-t-elle en ajoutant qu’il « ne faut pas oublier la convivialité : cuisine commune, bibliothèque, salles de travail, espaces extérieurs, mais aussi, zones de rencontres dans les couloirs... »
Pour les artistes, la résidence est un moment et un lieu privilégiés où tisser des liens avec les communautés artistiques internationales et accroître ainsi leur réseau dans différents pays. Elle constitue une étape importante dans leur carrière et fait partie intégrante de leur biographie. Ce n’est donc pas étonnant que plus de trente artistes ont postulé l’année dernière pour huit places seulement. La résidence permet surtout de se concentrer sur la recherche et la création loin des contraintes du quotidien et à l’écart des soucis financiers. Si certaines résidences n’offrent que le logement ou que l’infrastructure de travail, celles encadrées par le Focuna, attribuent une allocation de résidence (généralement de 2 500 euros par mois), des frais de routes (jusqu’à 500 euros), un forfait journalier pour vivre (trente euros par jour) et parfois une aide à la production (1 500 euros). En outre, une partie des ressources financières est directement attribuée à la structure d’accueil. Quelque 150 000 euros sont ainsi alloués aux résidences, l’essentiel (130 000 euros), provenant du Focuna, le reste du ministère de la Culture. « Envoyer des artistes du Luxembourg à travers l’Europe, offre la possibilité de promouvoir ces artistes et le Luxembourg comme un pays des arts et de la culture », note Anne Schwarz. Un bon investissement, donc.