Journée des femmes Maxime Miltgen l’avait imaginé tout à fait autrement. Le congrès ordinaire du LSAP, lors duquel devait avoir lieu l’élection d’un successeur à Franz Fayot (devenu ministre de l’Économie début février) à la présidence du parti fut fixé au 8 mars, Journée internationale de la femme, afin de symboliser encore mieux le fait que le parti socialiste, si souvent décrié comme machiste, allait élire une femme à sa tête. Francine Closener, ancienne secrétaire d’État e.a. à l’Économie, au Tourisme et à la Défense, venait d’intégrer le Parlement début décembre, en remplacement de Marc Angel (qui a rejoint le Parlement européen), et s’était portée candidate au poste. Elle serait devenue la deuxième femme à diriger le parti, quarante ans après Lydie Schmit à la fin des années 1970. « Nous avions réfléchi à tout un concept autour de l’égalité des chances, je devais tenir mon premier discours en tant que présidente des Femmes socialistes, et nous avons préparé une motion [Glaichberechtigung ist sozial(istisch)] que le congrès devrait adopter », raconte Miltgen. Le bureau du congrès sera même entièrement féminin. Mais le 20 février, patatras ! Closener informe via sa page Facebook que son mari est gravement malade et qu’elle compte lui accorder toute son attention – et retirer sa candidature pour la présidence.
Maxime Miltgen ne désespère pas pour autant : à 26 ans, elle conjugue études de droit à l’Université du Luxembourg et poste à mi-temps dans la communication du ministère de l’Intérieur (dirigé par la socialiste Taina Bofferding), comme responsable des réseaux sociaux et des événements. Plus donc, depuis l’automne, la présidence des Femmes socialistes, qui sont traditionnellement une rampe de lancement pour les femmes. « J’ai glissé dans le militantisme politique par hasard, lorsqu’on m’a proposé d’aider dans la campagne électorale pour les législatives de 2018 », se souvient-elle. C’était dans la circonscription Centre, elle a aidé à coller des affiches et à organiser les stands et les meetings. De fil en aiguille, elle se retrouve à la tête de la section féminine, qui affiche plus de 1 700 membres et est fière de compter deux ministres (sur les six socialistes au gouvernement Bettel/Kersch/Bausch), sans que sa présidence n’ait encore trop été communiquée – cela le sera dimanche lors du congrès, avec son premier discours. « Mon ambition serait de… (elle fait une pause), comment dire ça correctement vis-à-vis de la presse ? De ‘mettre le feu’... ». Miltgen esquisse un sourire. Avant d’affirmer que l’égalité entre les sexes – encore un ressort ministériel assuré par une jeune socialiste, Taina Bofferding toujours –, devrait être une préoccupation de tout le monde, femmes et hommes confondus. « Et puis, on affiche si fièrement la nouvelle parité de notre groupe parlementaire, mais il ne faut pas trop pavaner : c’est un peu un hasard quand même… » Trois hommes qui ont accédé à d’autres postes (Marc Angel député européen, Alex Bodry conseiller d’État et Franz Fayot ministre) ont ouvert la voie aux prochains élus, qui furent à chaque fois des femmes : Francine Closener, Simone Asselborn-Bintz et Cécile Hemmen. Donc la fraction socialiste se compose désormais de cinq femmes et cinq hommes : un équilibre entre les genres, mais pas vraiment de rajeunissement. Ni de grande diversité idéologique.
Aller au charbon En parallèle au désistement de Francine Closener, le député Yves Cruchten s’est dit prêt à reprendre la présidence du parti. Jusqu’à la fin du délai de soumission des candidatures, le 24 février, il fut le seul à lever la main. Le soir même, il se dit confiant qu’il pourrait assurer ce rôle bénévole à côté de son poste de député, parce qu’il n’a plus d’autre mandat et qu’il jouit d’un congé politique à son poste de secrétaire communal à Steinfort. À 45 ans, Cruchten connaît bien le parti pour en avoir été le vice-président et le secrétaire général durant les année zéro et dix. Plus pragmatique que politique, Cruchten regrette sur le plateau de RTL Tele Lëtzebuerg que le parti se perde trop souvent dans des « discussions idéologiques », alors que ce que les gens demandent, ce seraient des solutions concrètes à leurs problèmes, en premier lieu celui du logement abordable.
Dans ce domaine, le maire socialiste de Diekirch Claude Haagen vient, lui, d’opter pour une approche radicale en multipliant la taxe foncière sur les terrains constructibles laissés en jachère depuis des décennies par le facteur vingt. À voir si cela convainc les propriétaires des 42 parcelles concernées de vendre. Ou de ne plus voter socialiste (le LSAP y a la majorité absolue depuis 2017).
Pas de choix Le plus étonnant est que le LSAP, jadis si fier de sa culture du débat et de ses disputes internes, n’a même plus de choix entre deux candidats à la présidence, qui pourraient s’affronter sur le plan des idées. Même le CSV est désormais plus animé, ayant préféré le provocateur sans mandat politique Frank Engel au charmant échevin de la capitale et député Serge Wilmes ; tous les deux avaient fait la tournée des sections pour convaincre les délégués. Le congrès socialiste de dimanche au Käerjenger Treff promet d’être ronronnant, avec une succession de discours de tout ce que le parti a de prestigieux (le président ff Dan Biancalana, le président de la fraction Georges Engel, le vice-Premier ministre Dan Kersch ou le commissaire européen Nicolas Schmit) en matinée, avant le discours d’Yves Cruchten.
« Bien sûr qu’il est dommage qu’il n’y ait qu’un seul candidat à la présidence du LSAP », concède aussi Georges Sold, le président des Jeunesses socialistes, qui plaident, comme les FS, pour une double présidence, paritaire, comme chez les Verts ou les socialistes allemands. « Mais l’engagement du parti est bénévole. Un président doit non seulement être proche des militants et donner le la, mais il doit aussi assumer tout ce qui foire », du mauvais résultat aux élections à la politique de la majorité, qui est forcément toujours un compromis entre les partenaires. « Et puis c’est dans l’air du temps que l’engagement des gens diminue, constate Sold. On vit dans un monde sur abonnement, qu’on peut annuler à tout moment. Plus personne ne veut s’engager durablement, on voit bien que toute la vie sociale en souffre », note l’étudiant Sold. C’est ce que la Chaire parlementaire de l’Uni.lu appelle une tendance forte à l’individuation, qui profiterait plutôt aux partis libéraux et aux jeunes formations politiques. Toujours selon l’Uni.lu, le LSAP avait l’électorat le plus âgé en 2018, davantage que le CSV et l’ADR : plus de la moitié des électeurs socialistes avaient plus de cinquante ans ; 31 pour cent même plus de 65 ans.
Quel renouveau ? En janvier 2018, une Tribune libre signée par une dizaine de « jeunes » socialistes avait provoqué l’ire de la direction du parti : « D’LSAP nei denken ! D’LSAP nei opstellen ! » demandaient Taina Bofferding, Franz Fayot, Gabriel Boisanté ou Jimmy Skenderovic, parmi d’autres. Deux ans plus tard, les uns ont fait carrière et les autres (comme Skenderovic, qui fut président des Jeunesses socialistes) ont tout plaqué. Depuis plusieurs années, les jeunes du LSAP surtout demandent un renouveau au parti. « Nous risquons vraiment de devenir le parti des vieux hommes blancs (alte weisse Männer) », estime aussi Max Leners vis-à-vis du Land. Le juriste a travaillé comme assistant pour Franz Fayot, au groupe parlementaire et dans son cabinet d’avocats, et se démarque depuis plusieurs mois par ses prises de positions publiques, via tribunes dans la presse quotidienne, bien plus radicalement à gauche que la ligne officielle du parti. Pour une politique fiscale pénalisant la spéculation foncière par exemple, pour une politique urbanistique plus cohérente ou contre la politique des Verts en matière de Justice. Il demande des visions aux politiques, et un peu d’audace socialiste dans les domaines du logement, de l’équité fiscale ou du climat. Leners n’est pas membre des Jeunesses socialistes et ne suivra pas Fayot dans un ministère (contrairement à un autre (ancien) jeune, Christophe Schiltz, qui l’a rejoint comme chef de cabinet à la Coopération), mais s’implique dans le think tank socialiste qu’est la Fondation Robert Krieps. Leners y deviendra le secrétaire aux côtés du nouveau président Marc Limpach (succédant à Ben Fayot). « Je veux contribuer à stimuler non seulement le parti, mais aussi l’idée socialiste », affirme-t-il.
Chocs Le soutien des PME, l’éducation et le logement sont trois des sujets que les Jeunesses socialistes ont défini comme prioritaires pour leurs actions. « Mais en premier lieu, nous sommes rassurés d’avoir digéré tous les chocs des dernières années », affirme Georges Sold. En premier lieu les mauvais scores aux élections communales (avec la perte de beaucoup de grandes villes, comme Esch-sur-Alzette), législatives (moins trois sièges) et européennes (légère hausse de 0,44 pour cent seulement). Puis les changements personnels qui se suivirent à un rythme endiablé, pas tous forcément prévus d’emblée (comme la démission d’Etienne Schneider). Sold a voulu d’abord réanimer, puis consolider les Jeunesses socialistes disloquées, leur fonctionnement et leur lien avec le parti, avant d’attaquer les revendications politiques. Mais il est fier que l’idée de la gratuité des transports publics ait été évoquée en premier par les JSL, qui militent aujourd’hui pour un référendum sur la monarchie, l’obligation des restaurateurs de mettre une carafe d’eau gratuite à disposition de leurs clients ou l’interdiction de la fourrure au Luxembourg.
« Il ne faut pas se leurrer, dit-il, si on perd des élections, on l’a toujours mérité ! » Pour Sold, il est évident que le LSAP, bien que ou parce qu’il est au gouvernement « depuis toujours » est le maillon faible de l’actuelle majorité. D’ailleurs il avait plaidé pour le retrait du LSAP sur les bancs de l’opposition en 2018. L’alliance avec le DP serait nocive sur des sujets essentiels aux yeux des JSL, comme le logement : « Les libéraux sont des propriétaires immobiliers, ils n’ont aucun intérêt à en rendre l’accès plus accessible ! » Mais il est aussi persuadé que, une fois que les citoyens sentiront encore plus brutalement les conséquences de la politique libérale, ils se tourneront à nouveau vers des partis plus à gauche, qui veulent développer l’État et ses missions de service public. C’est pour cela, estime-t-il, qu’il est temps que le LSAP devienne à nouveau ‘plus de gauche’ ».