Etienne Schneider rayonne de bonheur, ce lundi-matin, 23 décembre. « Je constate qu’il y a beaucoup plus d’intérêt de la presse pour l’annonce de mon départ qu’il n’y en a jamais eu, ces dernières années, pour la présentation de ma politique », s’amuse-t-il, assis tout seul à la longue table de la salle de conférence, à l’entre-sol du ministère de l’Économie, boulevard Royal. Les journalistes sont venus en nombre, les plus grandes rédactions comme celle de RTL ayant même envoyé plusieurs rédacteurs, qui se font concurrence pour annoncer en premier la date de départ (le 4 février 2020) et la destination (encore inconnue) du faiseur de roi du gouvernement Bettel/Schneider/Braz I en 2013. À cette époque-là, Schneider était entré en campagne pour les législatives anticipées en toisant l’éternel Jean-Claude Juncker (CSV) au poste de Premier ministre. Et il l’avait fait à partir d’un mandat ministériel hérité un an plus tôt de son protecteur Jeannot Krecké, qui en avait d’abord fait son secrétaire parlementaire, puis un de ses plus proches hauts fonctionnaires à l’Économie. Le départ du gouvernement de Krecké s’était fait dans un chaos semblable à celui de Schneider : après que la rumeur a enflé au point de paralyser l’action de la coalition CSV/LSAP, Krecké avait dû revenir précipitamment d’une visite d’État au Vietnam en 2011 pour reprendre les rênes de son destin et annoncer son retrait vers la vie (et l’économie) privée.
Krecké avait alors 61 ans. Schneider en a treize de moins aujourd’hui, mais il ne semble rien avoir appris des déboires de son père politique : son annonce a été précédée par une cacophonie similaire. Dès le soir des élections législatives du 14 octobre 2018, au vu du mauvais score de son parti (moins 2,68 pour cent des suffrages à 17,6 pour cent et moins trois sièges, à dix ; une perte de presque 3 000 voix pour lui), Schneider avait la flemme. Certes, les Verts et leur super score (plus trois mandats) et le DP voulaient reconduire la coalition, et n’imaginaient pas le faire sans lui. Mais en ce jour fatidique, « il était évident pour moi que ma carrière politique ne pouvait plus que décliner », explique Schneider. Il était donc devenu temps de chercher une sortie. Ne plus devenir ministre et partir pour un poste de commissaire à Bruxelles ? Schneider et Nicolas Schmit se chamaillèrent en public, et c’est Schmit qui remporta la bataille. « Ce n’était pas le bon moment, concède Schneider aujourd’hui, cela aurait ouvert un trou béant au sein du gouvernement. » Mais à partir de là, son départ n’était plus qu’une question de timing, au risque de transformer l’ancien homme fort en lame duck (selon son propre terme). D’articles de presse en moqueries du CSV à la Chambre des députés, ce fut finalement le vieux sage du gouvernement, l’éternel ministre des Affaires étrangères Jean
Asselborn (70 ans, dont quinze comme ministre, plus de 40 000 voix en 2018, mais plus aucune fonction au sein du parti) qui précipita l’annonce, en estimant, le 19 décembre au soir, sur le plateau de RTL Tele Lëtzebuerg, que Schneider devait se décider « avant Noël » quant à la date de son départ .
De courageux dompteur de lion, qui avait chassé l’éternel CSV du pouvoir et rendu un peu de fierté à un LSAP en déliquescence depuis le début du siècle, en initiateur du space mining pour ramener le Luxembourg vers cet esprit pionnier de la CLT, de la SES et de la place financière, Schneider n’était plus perçu que, au mieux, comme nonchalant et au pire comme cynique et arrogant, s’intéressant trop peu à la vie des gens. Lors d’un long bilan de son travail politique, il regrette que les temps aient changé : « Aujourd’hui, on ne communique plus les succès économiques », l’implantation de nouvelles entreprises (Knauf, Google, Fage), n’étant plus vue que sous l’angle de ses effets néfastes, « les gens sont contre la croissance ». Affirmant vouloir un clear cut avec l’État et ne revenir ni en politique ni dans l’administration, Schneider estime qu’il serait certes compétent pour reprendre le mandat de l’État au conseil d’administration d’Arcelor-Mittal (actuellement occupé par Jeannot Krecké), mais dit ne pas encore avoir été approché ni mené de négociations « avec Monsieur Mittal ». Le quadra Schneider n’a jamais voulu être dépendant de la politique et revendique son droit à une vie privée décente. « Ech wëll mäi Liewen zréck ».
Franz Fayot Le grand absent de la cacophonie qui a précédé l’annonce de Schneider était le président du parti. Franz Fayot est resté injoignable, fuyant les caméras de RTL (pourtant arrivées en nombre) à la Chambre des députés. Ne pas faire de faux-pas, semble être la devise de celui qui était pressenti pour succéder de Schneider au ministère de l’Économie. Tout était prêt, car dès l’après-midi du 23 décembre, le comité directeur du LSAP confirma la proposition de remaniement ministériel au sein des portefeuilles qui reviennent aux socialistes : l’avocat d’affaires Franz Fayot reprendrait en outre la Coopération et l’Action humanitaire des mains de Paulette Lenert, entrée au gouvernement l’année dernière (et vice-présidente du LSAP), qui elle, remplacerait Etienne Schneider à la Santé et deviendrait en plus ministre déléguée à la Sécurité sociale (aux côtés de Romain Schneider) et resterait responsable de la Protection des consommateurs. N’ayant qu’un an de moins qu’Etienne Schneider, Franz Fayot n’est président du parti que depuis janvier de cette année, fonction à laquelle l’a précédé son père, Ben Fayot, durant douze ans, dans les années 1980-1990. Élu local, national et européen pendant presque trente ans, le père ne s’était jamais imposé au point de revendiquer un mandat ministériel ; modestie que le fils ne veut pas reproduire.
Au point de faire des exercices d’équilibriste pour ne pas entraver son ascension politique : à la Radio 100,7, il soutient la nomination d’Etienne Schneider au sein du CA d’Arcelor-Mittal. Entré au Parlement en 2013, lorsque son père s’est retiré, Fayot est sorti deux fois troisième aux urnes dans la circonscription Centre (où le LSAP a perdu un siège en 2018, profitant alors du fait que Schneider entre au gouvernement), Fayot est président de la commission parlementaire de l’Économie depuis 2013 et membre de celle des Finances et du Budget. Ayant fait ses armes au grand cabinet d’avocats d’affaires Elvinger, Hoss & Prussen, il est associé depuis 2015 avec Laurent Fisch dans une étude qui se dit « boutique » (donc sélect). Proche de Marc Limpach, qui tente comme lui le grand écart entre place financière (Limpach travaille comme juriste à la CSSF) et intelligentsia de gauche (Limpach est acteur et directeur artistique du Kasemattentheater, où Fayot siège au comité ; ensemble, ils sont aussi dans celui de la Fondation Robert Krieps), Franz Fayot a tenté de se positionner de plus en plus à gauche ces dernières années. Pour preuve, ses sorties plus ou moins en solo sur la politique fiscale : pour l’introduction d’un droit de succession en ligne directe, un impôt sur la fortune ou une taxation prohibitive des voitures les plus polluantes. Pourtant, il ne s’aventure guère sur des terrains plus sociaux, comme le droit du travail ou l’éducation.
Dan Kersch héritera du titre, du pouvoir (et du salaire) de vice-Premier-ministre d’Etienne Schneider. L’orfèvre d’une des plus grandes réussites symboliques de Gambia I (la séparation entre l’État et l’Église catholique) et du grand coup social de Gambia II (l’augmentation du salaire social minimum de cent euros nets et l’introduction d’un jour de congé supplémentaire), le ministre du Travail, de l’Emploi, de l’Économie sociale et solidaire ainsi que des Sports est l’épouvantail du patronat, contre lequel il a remporté le premier round du bras de fer sur la flexibilisation du droit du travail au CPTE. À presque soixante ans (il est né en 1961), jugé irascible et pouvant facilement sortir de ses gonds au conseil de gouvernement, Kersch fut communiste dans sa jeunesse et connaît toutes les stratégies pour arriver à son but en politique – par exemple celle de ne s’entourer que de proches à qui faire confiance. Son ascension au triumvirat Bettel-Kersch-Bausch fait peur aussi bien au DP qu’aux Verts, dont il craint que les politiques en faveur des entreprises ou de l’environnement respectivement se fassent au détriment des petites gens, que Kersch défend (il évoque souvent la crainte d’un mouvement de gilets jaunes pour s’opposer à une taxe carbone).
Francine Closener Ces propositions de remaniement seront soumises à un conseil général du LSAP, qui est fixé à mercredi prochain, 8 janvier – et la base socialiste ne rechigne jamais à rejeter une proposition de la direction du parti, si elle ne lui semble pas correspondre aux idéaux de gauche des derniers militants. Avec son entrée au gouvernement, Franz Fayot devrait abandonner la présidence du parti, que Francine Closener s’est dit prête à rattraper au bond. À cinquante ans, l’ancienne rédactrice en chef de RTL Radio Lëtzebuerg et ancienne secrétaire d’État à l’Économie, à la Défense et à la Sécurité intérieure, n’avait pas été réélue en 2018 et s’était retirée dans le placard doré d’un poste de haute fonctionnaire pour le « nation branding » au ministère des Affaires étrangères. Elle s’était fait prier avant de finalement accepter le mandat de député devenu vacant après le départ de Marc Angel vers le Parlement européen, le 3 décembre dernier. Entrée au LSAP peu avant les élections de 2013, elle plaidait pendant cinq ans pour le renouvellement et le rajeunissement du parti – sans forcément impliquer que dans le LSAP de Jean Asselborn, de Mars di Bartolomeo et d’Alex Bodry, « rajeunissement » se dit lorsque une génération de quadra- et de quinquagénaires arrive au pouvoir. Politiquement pourtant, Closener ne s’est jamais donnée de profil clair, mais fut fidèle soldate de Schneider. À la Chambre, elle aura comme chef de file Georges Engel, le député-maire de Sanem (51 ans), qui reprend la présidence du groupe parlementaire d’Alex Bodry, qui, lui, se retire vers le Conseil d’État. Engel est plus populaire que politique. Son plus grand combat est celui contre son confrère CSV de Käerjeng, Michel Wolter, concernant le tracé du contournement de Bascharage. Cecile Hemmen (*1955) se tient prête à réintégrer le Parlement, en remplacement de Franz Fayot, et Simone Asselborn-Bintz (*1966) reviendrait à la place d’Alex Bodry. Puis elle pourrait reprendre le poste de maire de Sanem de Georges Engel, qui y a annoncé sa démission pour le courant de l’année. Pas un seul jeune à l’horizon, ni d’expert des thèmes très actuels : la crise du logement et la paupérisation des classes moyennes.