Distante des deux conflits majeurs qui ont meurtri l’Europe durant le XXe siècle, l’Espagne ne fut pas exempte de lacérations d’envergure. Ainsi, la Guerre Civile qui la déchira de 1936 à 1939 aboutit à une chape de plomb qui perdura ensuite jusqu’au décès du Generalísimo Franco une quarantaine d’années plus tard. Ce conflit et ses conséquences provoquèrent le choix de l’exil de nombreux Espagnols. Voilà le contexte choisi par Jérôme Reuter pour le nouvel album de Rome, Flowers From Exile. Ancrant ses thématiques autour de ce sujet grave, il en profite pour universaliser son propos dans des textes qui abordent la solitude, les regrets, la propriété, la mémoire sans oublier le sacrifice ou le renoncement.
Mais Rome ne se réduit pas au seul Jérôme Reuter. Toujours accompagné de Patrick Damiani, multi-instrumentiste, par ailleurs responsable des arrangements ainsi que de l’enregistrement, un nouveau membre s’est inséré avec l’arrivée au violon de Nikos Mavridis. Signalons aussi que Rome est maintenant hébergé par la structure allemande Trisol, référence en ce qui concerne le mouvement gothique et ses pendants darkwave ou dark folk, qui s’occupe aussi de Die Form, Christian Death voire de Clan of Xymox. Les amateurs devraient apprécier.
Moins oppressant que ses prédécesseurs, Flowers From Exile n’est pourtant pas encore un album ensoleillé et ce malgré la présence des guitares hispanisantes, des castagnettes flamenco ou encore d’une trompette de-ci de-là, soulignant une production plus aérée (voire même inhabituelle pour les sphères goth). Ces éléments peuvent prêter à sourire pour tous ceux qui ne connaissent la péninsule que par le bout de la lorgnette de Torremolinos, mais ils confèrent à l’album une espèce de fatalisme latin et romantique qui colorie le songwriting noir et solennel de Rome (la gravité des thèmes et la voix caverneuse de Jérôme Reuter n’invitant pas, il est vrai, à la fiesta). La tessiture de ténor est toujours aussi proche d’un Nick Cave ou d’un Andrew Eldridge des Sisters of Mercy, sans ce côté étranglé et grandiloquent du deuxième. Fort heureusement, car cela aurait certainement plombé l’affaire.
Mais non, le chant est digne et sobre, rendant un hommage vibrant aux destins contrariés qui ont inspiré ce disque (comme sur To A Generation Of Destroyers, The Secret Sons Of Europe et ses chœurs traditionnels voire sur To Die Among Strangers). Évidemment, comme à l’accoutumée, on retrouve tout au long du disque des spoken words d’époque ou trafiqués et vieillis, sans oublier la mise en avant de la voix et l’omniprésence d’une guitare acoustique. Si la production a un peu ouvert les fenêtres, elle n’a pas abandonné le lugubre pour autant, celui-ci se déployant souvent dans l’arrière-cour sonore par petites touches ou grosses louches, en ce qui concerne les quelques intermèdes scindant l’album en actes.Flowers From Exile forme un ensemble très cohérent, solide, ne présentant que très peu de failles comme le raté Swords To Rust – Hearts To Dust flirtant ouvertement avec le kitsch par l’entremise d’une voix lyrique féminine horripilante ou encore Flight In Formation qui semble un peu déplacé ici, tant son final rappelle plutôt les ambiances du Masse Mensch Material, album précédent.
Plus d’informations sur les sites du groupe : www.myspace.com/romcmi, www.romepage.eu, www.trisol.de