Chaque passage d’Abigail Shark s’ancrait davantage dans une logique de happening que de showcase, sans qu’on puisse parler de véritable concert. Ensuite, il y a eu Stina Fisch qui leur a créé un logo, Trixi Weis qui pointait volontiers le bout de son nez pendant que le groupe se cassait le dos à vouloir surprendre un public qui, lui, avait la sensation d’être exposé au prochain « gros » truc. Si Minipli, autre groupe « arty » devant l’Éternel, a le vent en poupe ces jours-ci, Abigail Shark, comme le suggère le nom, gravite encore sous l’eau, et tous ceux qui désirent être plus que dans le coup, n’ont qu’à se mouiller. Le problème de la hype, c’est qu’il n’y a pas meilleur outil promotionnel ni bourreau des carrières plus impitoyable. Tous les groupes disent qu’ils sauront éviter le piège, très peu ont su le contourner habilement. C’est avec ce cadeau empoisonné dans les pattes donc, que l’album d’Abigail Shark, Bite ! (à prononcer à l’anglaise, mais à la lecture des textes, ce n’est pas si sûr) se déploie litéralement sous nos yeux. D’entrée, ce sera un dix sur dix pour la confection de la pochette, sorte d’origami en forme de gueule qui recrache le CD quand elle s’ouvre. Vous avez dit conceptuel ? Mais, la mission est de ne pas être diverti par un artefact autre que la musique. Premier titre, première morsure. Quincy Jones le disait lui-même, évoquant feu Michael, qu’on reconnaît un grand artiste au bout des vingt premières secondes d’écoute. Théorie des plus sommaires – quoique, vingt secondes, c’est plus qu’il n’en faut des fois pour passer en revue tout un album. Ici, on écoute, sceptique, pour voir si Abigail Shark nous balancera à la face la même vague de fraîcheur sur disque que sur scène. Queen Bee, titre du premier morceau, confirme ce à quoi l’on s’attendait un peu : Beryl Koltz, la cinéaste improvisée en chanteuse, ne porte pas que les culottes, elle porte également tout l’album. La propension à incarner ses sautes d’humeur sur un même morceau, traduit à la fois son goût de la mise en scène, mais aussi de la mise à nu, tout en affichant une véritable maîtrise de la voix. Le tout couché sur un rock braisé, sur fond de batterie martelant malheureusement, trop souvent le même beat de base. Si la recette peut s’avérer efficace au premier abord, à deux exceptions près, le projet souffre du manque de créativité de Rémi Grizard, pourtant batteur métalleux, à la base.Oyster décrit les tentatives désespérées d’une femme prête à tout pour briser la carapace de l’élu de son cœur, qu’elle traite d’huître. La comparaison avec Karen O pouvant être difficilement évitée, on se contentera de dire que les vocalises sur ce morceau sont celles qui se rapprochent le plus de celles de la prima donna des Yeah Yeah Yeahs. La prochaine (Touché Coulé), ainsi que la dernière (You Are Wunderbar) sont les deux pièces phares de Bite !. Le premier pulse tout le long, et rend plus homogène l’association voix-musique. L’interprète y braille moins, et se contente de suivre la cadence et la ligne de basse mélodieuse, avant de laisser place à un break d’où hurle un mur de guitares. On est bien content quand ça repart, et que le titre reprend son rythme effréné de course-poursuite.Quant à You Are Wunderbar, il trahit le mieux le penchant « arty » du groupe, avec son mélange des langues, et une Beryl qui joue les absentes débitant ses textes comme les raps de la première heure. Par moment, on n’est pas loin du Rapture de Blondie, le refrain entamé à l’unisson confère, lui, une ambiance de fin de soirée arrosée, où tout le monde se prend dans les bras une dernière fois, avant de lever les amarres. Ce morceau ne manque d’ailleurs pas de rappeler le vrai jeu de rôle que peut être l’appartenance à un groupe de musique. Le petit « vas-y, Michel ! », avant que ce dernier, docile, n’entame son solo de guitare, n’est que la parodie d’un code ringard du hard rock, accentué par le prénom banal, qui pourrait être celui de votre voisin ou même le vôtre.Dans son ensemble, Bite ! est étonnement sobre et fanfaronne moins que ce que laissait croire la rumeur. Était-il temps d’extraire la poudre de nos yeux, pour dévoiler ce dont il a toujours été question, avant de se lancer dans l’accoutrement : fabriquer une petite bombe rock entre quatre têtes pensantes, issues d’univers différents, mais s’étant alignés sur des idées d’accords bien ficelés, des paroles quelque peu biscornues et un même beat?
www.myspace.com/abigailshark