On les voit de plus en plus souvent sur les boulevards de Bucarest ou dans les grandes villes roumaines. Épuisés, le regard perdu dans leur rêve de se rendre à l’Ouest, et plus précisément en Allemagne, des Africains et des Asiatiques foulent depuis quelques semaines la terre roumaine. Les Roumains ont commencé à découvrir cette nouvelle espèce humaine : les migrants. Officiellement il n’y en aurait que quelques centaines, mais dans la réalité, on les compte par milliers depuis qu’ils ont choisi la Roumanie comme pays de transit vers l’Europe occidentale en quête d’une vie meilleure. Depuis le mois d’août ce pays est devenu attractif pour les candidats à l’immigration, car de plus en plus d’obstacles se dressent sur la Méditerranée, dont l’interdiction faite aux ONG de patrouiller au large de la Libye pour les secourir. « Nous avons déjà accueilli 700 réfugiés et nous sommes prêts à en accueillir 1 942 de plus », a affirmé le ministre roumain des Affaires étrangères Teodor Melescanu.
C’est la première fois que la Roumanie se trouve confrontée à une telle situation. L’image d’un pays pauvre et corrompu, même si elle ne correspond plus à la réalité, a tenu les migrants à distance et les a poussés à choisir d’autres routes vers l’Europe de l’Ouest. Mais la donne risque de changer en raison des obstacles auxquels ils se heurtent. Le choix de la Méditerranée est risqué depuis la nouvelle législation et en Europe centrale ils se heurtent au mur de barbelés construit par la Hongrie à la frontière avec la Serbie.
Les migrants ne sont pas les bienvenus en Europe centrale. Les pays du groupe de Visegrad – Hongrie, Pologne, République Tchèque et Slovaquie – s’opposent fermement à leur installation sur leur territoire. Le 6 septembre, la Cour de justice de l’UE a retoqué l’ensemble des arguments du groupe de Visegrad qui avait montré son hostilité à la politique migratoire de l’UE en votant contre ses quotas en septembre 2015. « Il est temps de travailler dans l’unité et de mettre pleinement en œuvre la solidarité », avait déclaré dans ce contexte le Commissaire européen aux migrations Dimitris Avramopoulos. Mais cet appel n’a en rien changé l’opinion des autorités hongroises sur les migrations. « La décision de la Cour est un désastre pour le gouvernement, a répliqué le ministre hongrois des Affaires étrangères Peter Szijjarto. Elle met en danger la sécurité et l’avenir de toute l’Europe. Cette fois la politique a violé les lois et les valeurs européennes. »
Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, qui dirige son pays d’une main de fer et s’oppose par tous les moyens à la politique européenne de la migration, propose aux Roumains de leur donner un coup de main à sa manière. « La Roumanie aura besoin d’un système efficace pour protéger ses frontières orientales, a-t-il affirmé le 4 octobre à l’occasion d’une visite dans l’ouest de la Roumanie. Plus ou moins rapidement la Roumanie sera submergée par les migrants, et si cela arrive, nous, les Hongrois, nous serons obligés de construire un mur à la frontière roumano-hongroise. Nous voulons aider la Roumanie à éviter ce scénario et nous ferons tout ce que nous pouvons pour aider ce pays à sécuriser ses frontières orientales. »
Après avoir bloqué l’accès des migrants par la Serbie au moyen de barbelés et la présence de militaires qui patrouillent à la frontière, les autorités hongroises se sont tournées vers la frontière avec la Roumanie. « Nous surveillons attentivement les voies alternatives de transit des migrants et nous sommes prêts à bloquer toute tentative de passage illégal de la frontière entre la Roumanie et la Hongrie », a déclaré le chef adjoint de la police hongroise Zsolt Halmosi. Fin 2016, les autorités hongroises avaient menacé la Roumanie de construire un mur de barbelés long de 70 kilomètres à la frontière roumano-hongroise, mais elles ont baissé le ton sous la pression de la Commission européenne. « Frontières communes et protection commune doivent aller de pair, a rappelé le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker dans le discours sur l’avenir de l’Europe qu’il a tenu le 13 septembre. Si nous voulons renforcer la protection de nos frontières extérieures, nous ouvrirons immédiatement l’espace Schengen à la Bulgarie et à la Roumanie. »
La Roumanie aurait dû intégrer l’espace Schengen en 2011. Malgré les rapports techniques très positifs effectués par Frontex, la police européenne des frontières, la Roumanie s’est heurtée à l’opposition de la France, de l’Allemagne et des Pays-Bas, qui ont fait de l’adhésion de ce pays à l’espace Schengen une question politique. Le ton a changé depuis la visite du président Emmanuel Macron à Bucarest, qui a eu lieu le 24 août. « Nous soutenons l’adhésion de la Roumanie à l’espace Schengen, mais il faudra que l’espace Schengen soit réformé dans son ensemble », a-t-il déclaré. En attendant, la Hongrie reste sur ses gardes. « Le nombre de migrants qui arrivent par la mer Noire en Roumanie va augmenter, précise György Bokondi, le conseiller du Premier ministre hongrois pour la sécurité interne. Il y a encore environ trois millions de réfugiés dans les camps en Turquie et nous avons tous intérêt à aider la Roumanie à sécuriser ses frontières orientales. » Un message qui semble avoir été entendu à Bruxelles.