Emmanuel Macron est monté sur ses grands chevaux en vue de réformer la directive européenne sur le travail détaché. Direction : l’Europe de l’Est. Jeudi 24 août, il était à Bucarest, et le lendemain, plus au sud, à Varna, petite ville bulgare située au bord de la mer Noire. Mercredi 23 août, le président français faisait escale à Salzbourg, où il a rencontré le chancelier autrichien Christian Kern ainsi que les Premiers ministres tchèque et slovaque, Bohuslav Sobotka et Robert Fico. Objectif de cette tournée en Europe centrale et orientale : la révision de la directive européenne du travail considérée comme source de dérives et de dumping social. « J’espère que cette initiative permettra d’avancer afin d’achever la révision de la directive, a déclaré le chancelier Christian Kern au cours d’une conférence de presse organisée la veille de cette visite. Il est très regrettable que ce sujet soit resté sans suite depuis un an. »
L’initiative française bénéficie également du soutien de l’Allemagne, pays qui accueille le plus grand nombre de travailleurs détachés, suivi par la France avec 286 000 salariés déclarés en 2015. Adoptée en 1996, la directive européenne permet à une entreprise de l’Union européenne (UE) d’envoyer temporai-
rement ses travailleurs dans d’autres pays de l’Union en versant des cotisations sociales dans le pays d’origine. Destiné à faciliter les échanges entre États au niveau de vie comparable, le système s’est cependant transformé en outil de dumping social depuis que l’UE s’est étendue, à partir de 2004, à des pays d’Europe centrale et orientale dont les charges salariales sont beaucoup plus faibles.
Les patrons roumains et bulgares ont exprimé leur désaccord concernant l’initiative d’Emmanuel Macron, qui remet en cause leurs contrats en Europe de l’Ouest. « C’est du néoprotectionnisme », selon Radu Dinescu, responsable de l’Union des transporteurs roumains. Une réforme de la directive européenne va mettre en difficulté les 200 000 routiers roumains et bulgares qui sillonnent les routes d’Europe. « Considérer les chauffeurs internationaux bulgares comme des travailleurs détachés porte un grave coup aux entreprises de transport, affirme Madleine Kavrakova, avocate de l’Union bulgare des transporteurs internationaux. Une telle mesure supprimera l’avantage concurrentiel dont bénéficient les transporteurs d’Europe centrale et orientale. »
La tournée d’Emmanuel Macron en Europe de l’Est s’est encore compliquée suite à la réaction de l’opposition française en Roumanie représentée par Benoît Mayrand, conseiller consulaire et représentant de l’Union des démocrates et indépendants (UDI), un parti de centre-droit fondé par Jean-Louis Borloo en 2012. « Pour récupérer quelques cotisations à des taux bonifiés, a-t-il déclaré, notre gouvernement renonce aux cotisations à taux plein de 200 000 Français qui travaillent hors de la France, a-t-il déclaré. C’est de la myopie. Abroger la Directive détachement est une décision populiste à courte vue, sans estimation du coût de l’opération – cotisations gagnées / cotisations perdues –, qui ignore les graves difficultés créées pour 200 000 Français détachés hors de France. Quel Français sera prêt demain à effectuer une mission à l’étranger s’il doit renoncer à sa couverture sociale, à ses droits au chômage et à la retraite ? »
En Bulgarie le 25 août, Emmanuel Macron a prôné la refonte du marché du travail détaché en Europe. Mais le président bulgare Roumen Radev a insisté sur les risques d’une réforme trop radicale. « Si nous ne proposons pas une perspective européenne aux Balkans occidentaux, ce sont eux qui proposeront une perspective balkanique à l’Europe », a-t-il déclaré à l’occasion de la visite du président français à Varna. Toutefois la Roumanie, la Bulgarie, la République tchèque et la Slovaquie sont les pays les plus attachés à l’ancrage européen, et leur choix n’a pas été fait au hasard. Emmanuel Macron ne se rendra ni en Pologne ni en Hongrie, les deux États pourtant les plus impliqués dans ce système.
Avec environ 500 000 ressortissants détachés chaque année dans l’UE, la Pologne est le pays qui a le plus à perdre d’une refonte du système. « La Première ministre polonaise aura beaucoup de mal à expliquer qu’il est bon de mal payer les Polonais, a déclaré Emmanuel Macron au terme de sa visite en Bulgarie le 25 août. La Pologne a décidé d’aller à l’encontre des intérêts européens sur de nombreux sujets. Cet État est en train de s’isoler. » Déclarations que la Première ministre polonaise Beata Szydlo a aussitôt qualifiées d’« arrogantes », soulignant que son pays avait « les mêmes droits que la France dans l’UE ». « Ces déclarations arrogantes sont peut-être dues à son manque d’expérience et de pratique politique, ce que j’observe avec compréhension, mais j’attends qu’il corrige rapidement ses lacunes et qu’il se montre plus réservé à l’avenir », a-t-elle affirmé. Paris compte sur le soutien de la Roumanie et de la Bulgarie pour appliquer son projet. Le choix de ces deux pays souvent oubliés par l’Élysée semble être un bon calcul. Les autorités roumaines et bulgares sont pour l’instant ouvertes à des négociations.