Alors qu’en France, les taxis sont en guerre ouverte contre les VTC, les voitures de tourisme avec chauffeur qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale, la « guerre des apps » prend une nouvelle tournure aux États-Unis avec la décision d’Uber de drastiquement réduire ses tarifs.
Uber est une start-up proposant des applications pour smartphones proposant des services liés au transport, dont la mise en relation de passagers avec des chauffeurs particuliers disposés à les convoyer dans leur véhicule. Sans surprise, le succès d’Uber est vu d’un mauvais œil par les chauffeurs de taxis, qui s’efforcent de freiner son avancée par toutes sortes de moyens réglementaires et judiciaires, souvent relayés par les autorités locales. Cela n’a pas empêché Uber, créé à San Francisco en 2009 sous le nom d’UberCab, d’étendre progressivement son service à 140 villes aux États-Unis et de s’implanter dans les grandes villes de plusieurs autres pays dont le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni.
En 2012, l’entreprise a créé le service UberX, qui propose des courses dans des modèles de voitures moins luxueux que ceux de l’offre initiale. Les premiers soucis judiciaires ont commencé pour Uber dans sa ville natale, en 2011, et depuis l’entreprise est confrontée à un feu roulant d’initiatives visant pour la plupart à l’empêcher de poursuivre ses opérations. Mais pas au point de décourager les investisseurs : son dernier appel de fonds, le mois dernier, a débouché sur une valorisation boursière de plus de 17 milliards de dollars.
C’est dans ce contexte qu’Uber a annoncé il y a quelques jours une décision surprenante qui montre que sa stratégie est de surmonter ces obstacles non pas tant en bataillant au cas par cas mais bien en accédant à marche forcée à une popularité et à une masse critique suffisantes pour couper l’herbe sous le pied à ceux qui cherchent à lui barrer la route. L’entreprise a baissé ses tarifs de vingt pour cent – mais sans réduire la rémunération des chauffeurs (80 pour cent du prix de la course dans le cas du service UberX) qui louent leurs services par son biais. Son offre devient du coup significativement meilleur marché que les taxis jaunes qui sillonnent les villes américaines.
Le magazine Wired explique que la start-up veut en réalité devenir « too big to ban », trop grande pour être écartée. Elle ne lésine pas sur les cabinets de lobbyistes auxquels elle fait appel pour contrer les tentatives de lui mettre des bâtons dans les roues, engageant souvent les plus prestigieux de la place. Ses adversaires veulent lui imposer des contrôles techniques, des assurances obligatoires, des contrôles d’aptitude professionnelle, autant de conditions qui reviendraient à mettre Uber sur le même plan que les entreprises de taxis traditionnelles. Ce qu’Uber, qui se voit comme pionnier d’une « économie de partage » émergente, ne veut accepter en aucun cas.
Il est clair qu’avec cette décision de réduire drastiquement ses tarifs, Uber est disposé à opérer à perte pendant quelque temps. Certes, le rabais de vingt pour cent a été présenté comme temporaire, mais on imagine mal un retour aux tarifs précédents. Surtout qu’il permet à Uber d’être moins cher d’un ou deux dollars sur des courses typiques à l’intérieur d’une ville et lui donne un avantage concurrentiel considérable.
Aux questions sur la compétence et la fiabilité des chauffeurs, sur l’assurance obligatoire des véhicules (des contrôles ont montré à l’occasion que certains chauffeurs proposaient des services Uber sans avoir souscrit d’assurance), sur le contrôle technique des véhicules, autant d’arguments qui peuvent étayer le reproche de concurrence déloyale, s’ajouterait donc celui du dumping : Si Uber opère durablement à perte, c’est qu’elle poursuit une stratégie consistant à s’enraciner dans le cœur des consommateurs au point que toute initiative politique visant à l’empêcher d’opérer aurait un prix politique trop élevé pour les élus. Certes, pour justifier sa valorisation auprès de ses investisseurs, Uber devra un jour redéfinir sa structure de prix. Et le risque que les régulateurs questionnent ses pratiques de dumping ne peut être écarté. Mais dans l’immédiat, Wired n’a pas hésité à qualifier sa décision de « géniale ».