Alors que les internautes européens se préparent à tester les services de Netflix, le champion américain de vidéo à la demande par le Net, il est instructif de suivre la dispute qui l’oppose ces jours-ci au fournisseur d’accès à Internet Verizon : il n’est pas exclu en effet que l’introduction du service en Europe, prévue d’ici la fin de l’année dans un certain nombre de pays, donne lieu à de semblables conflits.
Lorsque Netflix a constaté que certains de ses clients abonnés à Verizon pour leur accès au Net se plaignaient d’une mauvaise qualité de streaming, le service a choisi de s’adresser directement à ses abonnés par le biais d’une notification sur leur écran, comme celle-ci expliquant aux cinéphiles frustrés : « Le réseau Verizon est bondé en cet instant ; nous ajustons la vidéo pour un meilleur playback ». Une notification si peu du goût de Verizon que celui-ci a aussitôt menacé Netflix d’une plainte s’il ne renonçait pas immédiatement à diffuser ce genre de notice, faisant valoir que le diffuseur de films poussait ses clients à le quitter pour d’autres fournisseurs.
Alors que Netflix représente aujourd’hui environ un tiers du trafic Internet aux États-Unis en soirée, il devenait de plus en plus difficile pour lui de se contenter de défendre sa position de principe fondée sur la notion de neutralité du Net, et au nom de laquelle les fournisseurs d’accès se devaient de livrer son signal à ses clients de manière strictement agnostique, sans s’intéresser au contenu transporté. Face au tir de barrage
des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), il a dû se plier au moins en partie à leurs exigences. Netlfix a alors mis en place un partenariat baptisé « Open Connect » qui garantit la fourniture d’un signal de bonne qualité au FAI, avec pour ce dernier la possibilité de mettre des contenus en cache et d’installer des répéteurs Netflix sur son réseau pour améliorer la qualité du service. Ce modèle a, semble-t-il, assez bien fonctionné avec d’autres FAI, mais Verizon a refusé de s’associer à Open Connect. Dans une lettre de réponse à la menace de Verizon, Netflix reproche à celui-ci d’avoir laissé la qualité de son service se dégrader au point que Netflix a dû accepter de payer pour une « interconnexion améliorée ». « Nous vous avons apporté les données jusqu’à votre seuil, tout ce qu’il vous fallait faire était ouvrir la porte », a regretté le conseil de Netflix dans une lettre en réponse aux menaces de Verizon.
D’autres entreprises, qui font office de courtiers en grosses quantités de données entre les FAI, sont citées par Verizon comme cause des streamings souffreteux ; sans surprise Netflix et Verizon se rejettent mutuellement la faute des problèmes techniques qui empêchent les abonnés de Verizon de bénéficier d’un service Netflix correct.
Les deux entreprises sont pourtant partenaires d’une même chaîne de création de valeur, et il est assez surprenant qu’elles laissent un tel conflit s’envenimer au point de déboucher sur un litige faisant les choux gras de la presse. Certes, la cote de Verizon est déjà au plus bas, et le FAI est sans doute davantage impacté par cette affaire que le diffuseur. Il est d’ailleurs assez peu probable qu’il porte vraiment plainte contre Netflix, car il deviendrait apparent qu’il se fait payer par Netflix pour des capacités de transmission dont il ne dispose pas, ou pas encore : il semble avoir prévu d’avoir mis en place l’infrastructure requise d’ici la fin de l’année seulement. Mais pour les abonnés de Netflix, même s’ils jouissent d’un streaming correct, cette affaire déplorable jettera malgré tout un doute sur la fiabilité du service. Pour les cinéphiles européens tentés par le service de Netlfix, reste à espérer que dans le paysage bien plus segmenté et différencié des FAI européens, avec en outre certains gouvernements qui veillent au grain de la production cinématographique nationale, Netflix parviendra à passer des accords évitant ce genre de déboires.