L’information selon laquelle un pool de mineurs a contrôlé pendant au moins douze heures de suite plus de 51 pour cent des opérations d’extraction de bitcoins a mis en émoi l’univers qui s’est formé autour de la cryptodevise. Bien qu’aucune transaction frauduleuse n’ait été détectée, qu’aucun cataclysme ne s’en soit suivi et que le bitcoin ait conservé sa valeur face aux devises traditionnelles, cet événement a été largement perçu comme un point de non-retour remettant en question un de ses fondements théoriques : son architecture décentralisée censée empêcher toute mainmise, d’où qu’elle vienne, et assurer du coup la confiance des utilisateurs que la devise ne sera pas manipulée. En effet, celui qui dispose d’une puissance de calcul spécialisée majoritaire dans l’univers du bitcoin peut en théorie se livrer à diverses sortes d’abus, par exemple empêcher les autres intervenants de participer au processus ou dépenser deux fois des devises extraites.
Rien de tel ne s’est passé cette fois-ci. En réalité, ce n’est pas un intervenant individuel doté de ses propres équipements qui a détenu la majorité de la puissance de calcul durant ces douze heures, mais un pool de mineurs de bitcoins, nommé GHash, qui rencontre beaucoup de succès grâce aux conditions très favorables offertes aux participants. Il n’en reste pas moins que le principe de base qui préside à la génération de confiance parmi les utilisateurs de bitcoins a été mis à mal. Si, contrairement à ce que pensaient les créateurs de la devise, un intervenant peut franchir la barrière des 51 pour cent, l’ensemble du système lancé il y a cinq ans risque de s’écrouler. Pour assurer sa survie à moyen et long terme, les développeurs les plus influents de la communauté ont d’ailleurs aussitôt annoncé vouloir modifier certaines des règles de base régissant la génération et la gestion de la crypto-devise afin de remédier à cette vulnérabilité.
En pratique, il s’agirait d’imposer une « bifurcation » qui désamorcerait par elle-même toute montée en puissance d’un pool de mineurs et neutraliserait automatiquement toute tentative de parvenir à cette position et de se livrer à des abus. Lors de cet épisode, on a constaté qu’un frein de ce type a fonctionné spontanément : peu après le franchissement des cinquante pour cent par GHash, et une fois la nouvelle partagée au sein de la communauté bitcoin, des participants ont quitté le pool, ce qui a ramené la tranche qu’il contrôle à quelque quarante pour cent. Malheureusement, même si cette réaction est rassurante quant à la capacité de la communauté bitcoin à s’autoréguler, elle n’enlève rien à la gravité conceptuelle de l’épisode, qui continue de menacer la confiance qui sert de base à la valeur accordée à la devise.
S’agit-il d’une erreur conceptuelle des créateurs du bitcoin, qui auraient sous-estimé le degré de spécialisation atteint par les machines dédiées à l’extraction des bitcoins ? Ont-ils faussement assumé que la puissance de calcul requise pour extraire de nouveaux bitcoins resterait par nature dispersée, alors qu’en réalité les mining rigs requis pour générer des bitcoins sont désormais tellement pointus qu’il vaut mieux participer à un pool en possédant un vaste parc que chercher à s’équiper soi-même ? En tout cas, ce choc qui a secoué la planète bitcoin a aussi suscité des réflexions plus générales sur les cryptodevises et leur avenir.
L’opérateur GHash n’a pas brillé jusqu’ici par sa transparence, ont fait remarquer certains participants, suggérant que des pools mieux gérés et plus ouverts pourraient constituer une garantie contre les abus. On peut aussi argumenter que ce n’est certainement pas dans l’intérêt de GHash de scier la branche sur lequel il est assis. D’autres ont fait valoir que le bitcoin n’est après tout que la première cryptodevise ayant rencontré un succès planétaire. Il lui reviendrait donc du coup l’honneur d’essuyer les plâtres, en attendant que le lancement de nouvelles cryptodevises, conçues à la lumière des écueils rencontrés par le bitcoin, débouche sur l’essor de cybermonnaies solides, populaires et indépendantes des autorités.