Une armée européenne peut-elle rassembler les pays de l’Union européenne (UE) autour d’un projet commun, ou sera-t-elle un nouveau thème de division entre les 27 ? Le 14 septembre, deux jours avant le Sommet européen de Bratislava, le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker a parlé d’une importante escalade militaire lors d’un discours tenu devant le Parlement européen. « Pour que la défense européenne soit forte, l’industrie européenne de défense doit innover, a-t-il affirmé. C’est pourquoi nous allons proposer avant la fin de l’année un fonds européen destiné à la Défense pour donner un effet turbo à la recherche et à l’innovation. »
Mais le projet d’une armée européenne est loin de faire l’unanimité au sein de l’UE. Tant que la Grande-Bretagne faisait partie du club, la question ne se posait pas. Londres a toujours suivi Washington. Mais le Brexit change la donne et laisse une marge importante au projet franco-allemand d’armée commune. Le 16 septembre, lors du Sommet européen de Bratislava, François Hollande a dit tout haut ce que beaucoup de chefs d’État européens pensent tout bas : un mouvement d’isolationnisme aux États-Unis après l’élection présidentielle du 8 novembre obligerait l’UE à se doter de sa propre défense. « Si les États-Unis font le choix de s’éloigner, l’Europe doit être capable de se défendre par elle-même, a-t-il déclaré à son arrivée à Bratislava. Pour l’UE, la défense est un défi. Il s’agit de peser sur le destin du monde, de se doter d’une capacité de projection et d’assurer la défense de la France et de l’Europe. »
L’idée d’une armée européenne ne suscite pas l’enthousiasme dans les pays baltes, en Pologne et en Roumanie qui sont les pays les plus exposés aux poussées expansionnistes de la Russie. Aux frontières nord et orientales de l’UE, on fait davantage confiance à l’armée américaine qu’à une hypothétique armée européenne. Les soldats de l’oncle Sam sont déjà présents dans tous ces pays. Même si leur nombre est réduit, la symbolique de la présence militaire américaine rassure ces pays qui ont encore en mémoire les années noires du bloc communiste. La Roumanie, par exemple, possède sur son sol quatre bases militaires américaines et accueille le bouclier antimissile américain, ce qui irrite beaucoup la Russie.
C’est à Bucarest que le Président français a choisi de se rendre le 13 septembre avant le sommet de Bratislava. Malgré un agenda très chargé il a tenu à se rendre en hélicoptère à Brasov, ville située au centre du pays. C’est là qu’il a inauguré une usine Airbus Helicopters, ce qui représente un investissement de cinquante millions d’euros pour produire en Roumanie le nouvel appareil H215. Après la « success story » de Renault, qui a investi environ deux milliards d’euros dans l’usine automobile Dacia, la France a décidé d’apporter en Roumanie sa technologie aéronautique. « Dans le cadre de l’Otan, l’Europe doit s’organiser car elle ne peut pas dépendre d’une puissance amie extérieure », a affirmé François Hollande à Bucarest.
Les Roumains estiment que la présence militaire américaine sur leur territoire est un facteur de dissuasion majeur face à la Russie, mais ils sont également sensibles aux nouvelles opportunités d’affaires que la France leur propose. « Dans l’esprit du partenariat stratégique entre la Roumanie et la France, nous avons inauguré un investissement à long terme dans le domaine aéronautique, a déclaré le Premier ministre roumain Dacian Ciolos qui a accompagné le président français sur le site d’Airbus Helicopters de Brasov. Après le succès de Dacia-Renault nous lançons aujourd’hui un nouveau projet franco-roumain basé sur l’expérience du passé et qui ouvre une nouvelle dimension du futur. » Ancien commissaire à l’Agriculture, le Premier ministre roumain est un technocrate francophile et francophone qui a fait des études d’agronomie en France.
La Roumanie, qui affiche une très bonne croissance économique depuis quelques années, attire de plus en plus d’investissements étrangers et la France compte jouer sa carte, y compris dans le domaine de la Défense. « C’est un des rares pays d’Europe centrale qui a conservé une forte compétitivité au niveau des coûts de main-d’œuvre, a expliqué Stéphane Albernhe, consultant expert chez Archery Consulting. La Roumanie a une tradition d’ingénieurs et de techniciens dans le domaine de la mécanique et de nombreuses entreprises locales font un travail de qualité à des prix très compétitifs. »
Quant à la Hongrie et à la République Tchèque, ces deux pays, bien qu’eurosceptiques, soutiennent l’idée d’une armée européenne considérée aussi comme un outil susceptible de mieux protéger l’espace Schengen. Politique, stratégie militaire, nouveaux défis de la défense et nécessité d’un nouveau projet pour relancer l’UE poussent les pays membres à se mettre d’accord sur une nouvelle vision de défense commune. Entre-temps, la France semble considérer la Roumanie comme une nouvelle opportunité d’investissements pour les nouvelles technologies. Un calcul économique doublé d’une nouvelle vision pour les confins orientaux de l’UE.