Durant l’été ont été publiés dans ces colonnes des portraits de jazzmen et jazzwomen autochtones. Des artistes bien implantés comme Greg Lamy ou Sascha Ley, aux jeunes musiciens ambitieux Pit Dahm et Pol Belardi (son nom avait été mal orthographié à deux reprises dans le Land du 5 août, mea culpa), en passant encore par les formations atypiques telles que Saxitude, le Marly Marques Quintet ou encore la Benoit Martiny Band, force est de constater que la scène de jazz luxembourgeoise est riche et diversifiée. Cet éventail étant incomplet à plus d’un titre, il serait judicieux de dresser un compte-rendu un tant soit peu détaillé, histoire de revenir sur les artistes manquants, mais aussi sur un organisme-clé en ce qui concerne l’exportation de la scène musicale du pays, Music:LX.
Avant toute chose, il serait consciencieux de rappeler que, mis à part les noms déjà cités, une palette de musiciens reconnus s’est développée durant la dernière décennie. Pascal Schumacher pour commencer. Ce vibraphoniste trentenaire a déjà derrière lui une solide expérience d’ordre mondial. Son dernier projet Left Tokyo Right publié par le label Laborie Jazz est sorti l’année dernière et n’a fait que confirmer son statut d’ambassadeur du jazz autochtone. Maxime Bender, Jeff Herr, Ernie Hammes, Roby Glod ou encore Paul Fox sont des musiciens aux personnalités tranchées, des talents multi-générationnels qui ne vous disent peut-être rien, mais qui pourtant font ou ont fait le bonheur des amateurs du genre dans les plus grands festivals, tout comme sur les plus petites scènes. Au risque de mélanger les musiciens cités d’une manière hasardeuse, il serait cependant malencontreux de penser que ces artistes ont été balayés dans ces lignes d’un revers de la main, l’étude de leurs carrières vous est fortement conseillé, évidemment.
Une belle formation c’est avant tout une rencontre, n’ayons pas peur du mot. Dans cette perspective, le trio Reis/Demuth/Wiltgen est un bon exemple. Composée du pianiste Michel Reis, du bassiste Marc Demuth et du batteur Paul Wiltgen, la formation a publié récemment un album, Places in between, l’occasion d’en savoir davantage sur un trio qui fêtera mine de rien ses vingt ans en 2018. « Le trio existe depuis 1998 après avoir fait connaissance lors de nos études secondaires à l’Athénée de Luxembourg. Le départ aux États-Unis de Paul Wiltgen et Michel Reis pour leurs études a entraîné une légère diminution de nos activités communes. Cette situation a changé en 2010, quand nous avons décidé d’explorer au maximum l’énorme potentiel de notre trio de longue date, extrêmement riche en compassion musicale et humaine », explique Marc Demuth. Une complicité et une virtuosité commune qui leur donne raison. En effet, suivront des tournées en Europe, aux États-Unis et en Asie, à raison d’environ quarante concerts par an. Un premier album en 2013 puis un second aujourd’hui. Sa présentation officielle aura d’ailleurs lieu le 7 octobre prochain au centre Opderschmelz à Dudelange.
Ce même disque sortira sur le label japonais Mocloud Records et sera présenté au Japon lors d’une tournée de six concerts en novembre. L’Asie, un continent que de nombreux artistes locaux ont foulé, mais aussi l’Amérique, et une grande partie des pays européens. Le monde est grand et c’est ici qu’entre en jeu Musix:LX. Une institution indépendante, forme de bureau export de la musique luxembourgeoise, qui est financé par le ministère de la Culture et par la Sacem. Son but ? L’internationalisation des talents luxembourgeois. Ses résultats ? 1 000 concerts de Luxembourgeois donnés à l’étranger en 2015. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. « L’impact est vraiment énorme et concerne tout les styles de musique », concède Marc Demuth, qui reconnaît en Patrice Hourbette, le directeur de Music:LX, des qualités « hors normes ».
« Nous avons de très bons artistes, mais il y a aussi d’excellents jazzmen en Chine, au Japon, en Estonie, en Allemagne... Cela ne suffit malheureusement pas d’être un bon artiste, il faut susciter l’intérêt de partenaires étrangers », pense Patrice Hourbette. « C’est à l’artiste de faire ses preuves. Music:LX, c’est une petite équipe, on n’a pas le temps de s’occuper des bébés. Nous sommes donc sélectifs. Mais à partir du moment où nous suivons un artiste, on l’aide de manière conséquente. On essaye de créer des engagements, trouver des dates, des labels, acheter les billets d’avion parfois pour les déplacements, louer les salles, financer les compilations promotionnelles, et tout ça dans tout les styles musicaux ». Celui qui a travaillé pendant 25 ans au Bureau export de la musique française à Berlin et à Londres aime à rappeler que lors des Assises culturelles, Music:LX a été cité en exemple. « La question qui se pose en 2016, c’est l’internationalisation du Luxembourg. Comment exporter ses artistes, sa culture et sa technologie ? ».
Quand on recherche le nom de Michel Pilz sur Youtube, on tombe sur un incroyable solo de clarinette datant de 1977 et visionné plus de 140 000 fois par les internautes du monde entier. Un son avant-gardiste d’une maîtrise folle, et en somme la preuve déjà qu’un Luxembourgeois pouvait rivaliser avec les plus grands. Les chiffres ne mentent pas, le pionnier se produit encore aujourd’hui. Un côté international avant l’heure et qui heureusement s’accélère ces derniers temps. En début d’année Gast Waltzing encore a remporté un Grammy Award symbolique pour le Luxembourg. Lui aussi est un pilier avec une carrière atypique, fondateur de l’Orchestre national de jazz luxembourgeois, trompettiste, compositeur, chef d’orchestre, « le père du jazz luxembourgeois » d’après Patrice Hourbette. La formation Largo de l’artiste est d’ailleurs représentée par Music:LX.
La scène jazz Luxembourgeoise a encore cette précieuse chance d’être aidée si le talent et la motivation suivent. « Un dynamisme énorme, un nouveau souffle et une bonne entente entre les différentes générations », souligne encore Marc Demuth. La musique n’a aucune barrière et qu’est-ce que le jazz si ce n’est la musique de l’émancipation, et ce à tout les niveaux ? Les choses n’arrivent pas par miracle et heureusement de nombreux jeunes musiciens partent étudier à l’étranger pour revenir fleurir le paysage luxembourgeois. Vivre de la musique au Luxembourg c’est encore compliqué, mais finalement comme partout, et si de nombreux musiciens donnent des cours à côté pour trouver une stabilité, tant mieux, l’enseignement est une noble tache. La scène bouillonne, l’ambition est présente et le talent parfois aussi, de nombreux concerts donnés sont encore gratuits alors pourquoi se priver ?