« Ne jamais se fier aux apparences », une maxime surexploitée mais vérifiée pour Pol Belardi. Sous ses airs de gendre idéal réservé, se cache un compositeur ouvert, ambitieux et actif. Le 27 juillet dernier, il donne un concert au Cercle-Cité avec son groupe, le Pol Berlardi’s Force, au milieu d’une exposition de la photothèque de la ville de Luxembourg consacrant la Place d’Armes. En compagnie de David Fettmann au saxophone, Jérôme Klein au synthétiseur, Niels Engel aux percussions et Riaz Khabirpour, invité spécial à la guitare électrique, Belardi le bassiste met à l’aise. Entre chaque morceau il parle au public, explique le concept de son prochain disque, mais nous y reviendrons, plaisante sur son piètre niveau de danseur, se remémore avec nostalgie un concert à Trieste, en Italie à la frontière Slovène, bref il se livre.
Né en 1989 à Esch-sur-Alzette, le jeune bassiste découvre la musique très tôt. Son frère aîné est branché percussions et piano, sa mère chante dans une chorale, joue de la clarinette, d’ailleurs sa grand-mère en jouait déjà bien avant. « Je suis le seul dans la famille qui a pris la musique un peu plus au sérieux. Je pense que personne n’osait en faire professionnellement ». La musique est omniprésente dans sa vie de tous les jours, et ça depuis l’enfance. « En jouant aux jeux vidéos déjà, j’ai toujours été très attentif aux mélodies, aux musiques », qui peuvent en effet être magnifiques. « J’essayais de tout rejouer au piano, un exercice qui m’a beaucoup appris ». À partir d’un certain moment, il comprend que la musique n’est plus « anecdotique, mais est devenue quelque chose d’absolument essentiel » pour lui.
Conscient de ses facilités, notamment en solfège, il survole ses études musicales, de Bruxelles à Amsterdam où il décroche en 2014 un Master degree en guitare basse jazz. La même année, le Pol Berlardi’s Force (anciennement 4’S) signe son second album Delusions of grandeur sous un label de jazz italien, le premier disque datant de 2013, et le troisième étant déjà en route, reprenez votre souffle. Un quartet prometteur qui expérimente des sonorités équilibrées. Pol Belardi n’est pas un bassiste m’as-tu-vu qui exécute des solos inutiles à répétition jusqu’au dégoût, ce qui arrive parfois, mais a le sens de la discrétion, qui n’est en aucun cas synonyme d’absence.
En parallèle est né de son examen final au conservatoire d’Amsterdam, le collectif Urban Voyage. Un ambitieux projet nécessitant onze musiciens sur scène qui est remarqué. « Nous avons gagné un prix nous offrant l’opportunité d’enregistrer la pièce complète, une vraie surprise », dit-il ; un album est paru en mars dernier. Pour l’occasion le collectif est monté sur scène à la Rockhal. Une prestation à revoir sur la chaîne Youtube de l’artiste et plus particulièrement le morceau Dancing with the moon auquel il est difficile de rester indifférent. Malgré la démesure du projet qui devait être éphémère, Pol Belardi aimerait réitérer l’expérience. « C’est difficile de faire tourner un tel projet car beaucoup sont réticents à l’idée de voir arriver onze musiciens sur scène, et de les payer. Ils imaginent juste que c’est cher. Mais peu à peu ça se présente bien ».
Side-man pour d’autre projets encore, comme par exemple pour Pascal Schumacher, le fameux vibraphoniste luxembourgeois. Puis membre toujours de Dillendub, une formation Luxembourgeoise se voulant electro-groove, preuve que le jazz n’est confronté à aucune barrière. Pol Belardi a été actif, peut-être même trop ces dernières années selon lui. « Il y a des projets que je n’aurais pas dû faire, mais j’ai souvent du mal à dire non. Si on me demande, j’essaye toujours de caler les enregistrements ou les dates avec mon emploi du temps », l’euphorie de la jeunesse en somme. « Mais je crois qu’avec l’âge et avec l’expérience on apprend à plus faire le tri, choisir les projets les plus intéressants. C’est aussi pour ça que j’ai choisi la voie de l’enseignement ». L’année prochaine il donnera des cours pour garder une certaine stabilité admet-il, mais donc aussi pour être plus sélectif. Au Luxembourg, et certainement ailleurs aussi, il est encore quasi impossible de vivre exclusivement des disques et des dates, du moins dans ce monde si particulier de ce grand ou gros mot qu’est le jazz. « Il y a eu les Assises culturelles pour parler des améliorations possibles, mais ça prend du temps. C’est bien qu’il y ai déjà eu un dialogue, toutefois c’est encore un long chemin ».
Pour le moment, le concert au Cercle-Cité est une sincère réussite, cinq musiciens sur scène qui donnent pourtant l’impression d’entendre un orchestre entier. Puisant dans son répertoire, Pol Belardi présente aussi des pièces inédites de son album en préparation. Un album à concept, « le fil rouge c’est la création d’une planète. C’est un projet qui retranscrira l’évolution d’une civilisation ». Le concert se présente un peu comme un avant-goût, le premier morceau explosant en fanfare, à l’image d’un big bang, vous l’avez deviné, jusqu’à l’arrivée des êtres vivants et les tourmentes qui en découlent avec le morceau Natural selection. Toute une galaxie d’idées gravite autour du projet, un design mais aussi l’idée d’incorporer de la vidéo-projection sur scène. Il espère avoir un quatuor à cordes sur l’album qu’il compte enregistrer en octobre prochain, en Allemagne. « C’est en pleine campagne allemande, c’est une recherche, celle de la tranquillité. Le studio en question possède un bon piano, car évidemment c’est le seul instrument qu’on n’amène pas avec nous ».
Pol Belardi a acquis une certaine expérience de la scène, avec de nombreux concerts donnés, à son compte, ou avec Pascal Schumacher et son dernier projet Left Tokyo Right, pour lequel il a voyagé dans toute l’Europe, jusqu’au Japon. Des concerts il en donnera encore et son album sera, on l’espère, à la hauteur de son concept. La planète Pol Belardi est à l’image de celle qu’il compose, en pleine gestation, mais promise à plus d’un titre à un bel avenir.