« Oh non ! Pas moi ! Un portrait ?... Pourquoi moi ? » Interviewer Tom Dockal pour un portrait, c’est un peu lui faire violence. Lui qui travaille habituellement dans l’ombre du pupitre de la régie des théâtres ou derrière les micros des radios Ara et 100,7, n’aime pas être l’objet de tant d’attention. Pourtant, après deux heures d’entretien, il s’avère qu’il a beaucoup à dire, ce jeune « travailleur intellectuel indépendant » (« cela fait toujours rire mes parents, que je sois officiellement ‘intellectuel’ », s’amuse-t-il). Sur le théâtre, le cinéma, sur le processus d’apprentissage qui est le sien, loin des parcours scolaires officiels (« j’étais deux fois physiquement présent pour l’examen de la Treizième », sans finalement faire ces examens, il quitte le lycée sans diplôme), et durant lequel il glane des informations et des compétences partout où il peut : sur internet, dans la presse, en travaillant avec des metteurs en scènes très divers, en faisant tout simplement, sans avoir peur de se tromper. Et sans se prendre trop au sérieux surtout.
Le 18 juin, Tom Dockal présentera une sorte de petit exercice de style, une ébauche d’un cabaret sur le monde politique et la scène culturelle luxembourgeois dans le cadre de la soirée Monolabo, réservée aux expérimentations de jeunes créatifs autochtones, au festival Fundamental Monodrama. Cela s’appelle Ceci n’est pas une Maggy Nagel et a été élaboré en collaboration avec l’acteur et allié fidèle de Dockal, Jacques Schiltz (Richtung22, Heemwéi). « Ce sera un truc fragmentaire », explique Tom Dockal, avec beaucoup de ruptures, du méta-texte, une réflexion sur la carrière politique un peu trop parfaite d’une élue locale et de sa chute tragique, sa réception aussi. D’ailleurs, au début, cela devait s’appeler A woman under the influence, en hommage (ironique) au film culte de John Cassavetes de 1974. Tom Dockal voulait soumettre l’idée au jury du Talentlab des Théâtres de la Ville avec le Centaure (voir aussi page 17), mais pour une question de délais – la démission de la ministre de la Culture et du Logement, en décembre 2015, l’a pris de court pour encore pouvoir adapter le projet à temps –, cela ne s’est pas fait. « Et puis Steve Karier m’a dit un jour : ‘Ben, alors montre-le chez nous !’ ». Le projet fera partie d’une même soirée de recherches théâtrales, aux côtés d’Elisabet Johannisdottir, de Gintare Parulyte, de Ian de Toffoli et Pit Simon, du réfugié Tohid Tohidi ainsi que d’un groupe de demandeurs de protection internationale avec lesquels travaillent les acteurs de l’asbl Fundamental durant toute l’année au Hariko.
Ce sera la troisième mise en scène de Tom Dockal, après Juncker/Mille en 2013 à la Kulturfabrik et les Fatzbéidelen de Norbert Weber (pièce écrite en 1980, mais dont la production fut interdite par l’auteur lui-même, jusqu’à ce que le CSV ne soit plus au gouvernement), l’année dernière au Théâtre national, et qui vient d’être reprise au Mierscher Kulturhaus le week-end dernier. Toutes ont en commun d’être des pièces en luxembourgeois, mêlant théâtre et politique, avec un sens de la dérision dans l’interprétation des textes et de la déconnade dans la mise en scène (les acteurs jettent des saucisses, font des blagues potaches, boivent et fument sur scène...). L’essentiel semblant toujours de s’amuser et d’improviser.
« Jusqu’à 18 ans, j’étais assez certain que je ferais des films plus tard », se souvient Tom Dockal aujourd’hui, à tout juste 26 ans. C’est qu’il était cinéphile très jeune, aujourd’hui, on dirait geek, dévorant tout ce qu’il pouvait voir, passant plusieurs fois par semaine à la médiathèque de la Bibliothèque nationale pour emprunter des films ou perdant son temps libre dans les salles obscures grâce à un pass VIP gagné lors d’un jeu à la radio. Mais les aléas de la vie et les rencontres ont fait qu’il a atterri au théâtre, « et puis, après tout ça, on ne peut plus en partir ». Cours de mise en scène au Conservatoire chez Frank Hoffmann, petits boulots de colleur d’affiches, premières expériences comme auditeur libre dans des mises en scène du Théâtre national (la toute première pièce vécue ainsi de l’intérieur était Haute surveillance de Jean Genet montée par Pol Cruchten en 2008)... Ce qui l’a tout naturellement amené à devenir assistant à la mise en scène, chez Frank Hoffmann, Anne Simon et, au Kasematten, chez Stefan Maurer. Chacun ayant sa propre personnalité et sa manière de travailler bien à lui, il apprend, dit-il, des choses bien spécifiques avec les trois metteurs en scène : Avec Frank Hoffmann, ce serait de se débrouiller dans de grosses productions internationales, avec des stars et toutes sortes de contraintes pratiques. Avec Anne Simon, « j’ai appris à ne pas trop me prendre au sérieux », sourit Tom Dockal. Et avec Stefan Maurer, une approche tout à fait différente, plus psychologisante que formelle, « chez lui, on travaille avec la tête, pas avec le bide... ». « Mais je trouve qu’il ne faut jamais craindre la superficialité – on peut quand même créer sa propre putain de réalité au théâtre ! » lance Tom Dockal, comme s’il avait peur d’être trop sérieux.
Pourtant, il peut l’être aussi, très sérieux. Dans ses émissions de radio dominicales par exemple. Cela s’appelle Early Bird et passe peu après huit heures du matin à la radio socioculturelle 100,7 – à potron minet pour les uns, juste à l’heure du premier café pour les autres (il y aurait beaucoup de jeunes parents branchés parmi ses fans). Early Bird est un voyage onirique et paisible à travers des musiques de tous genres, très chillax pour employer un terme de djeunz, toujours des sons très doux, mais jamais convenus. Dockal peut programmer aussi bien des musiques de films algériens que du prog-rock tchèque ou de la flûte traversière jazzy d’Europe de l’Est. Le tout étant de créer des univers hétérodoxes reliés entre eux par une sorte de fil rouge souvent très sophistiqué, et parfois tiré par les cheveux. Sa nonchalance à l’antenne est comparable à celle de Mike Tock, bien qu’un peu moins rentre-dedans.
C’est que malgré son jeune âge, Tom Dockal en fait depuis un moment déjà, de la radio. Il a commencé chez Radio Ara, en tant que bénévole, comme tous les animateurs (ou presque) de la radio alternative, persuadé que son concept – « je vais jouer des musiques que personne ne joue » – était original. On l’a laissé faire. Aujourd’hui, cela le fait sourire de voir que tous les jeunes qui débarquent chez Ara ont le même concept. Un jour, lors d’une de ses nombreuses virées de défrichage dans les librairies et chez les disquaires, il débarque chez Fellner Art Books, un disque de la formation américaine The Monks des années 1960 sous le bras. Hans Fellner n’en revient pas. « Cela ne va pas, un jeune de quinze ou seize ans qui écoute une musique si underground », raconte Hans Fellner des années plus tard à l’antenne de Radio Ara. De ces discussions naît une amitié durable. Et une émission de radio : Tom Dockal invite Hans Fellner à le rejoindre à l’antenne de Ara, pour une émission en duo, à discuter et présenter des musiques incongrues. Cela s’appelle Lost in music, deux fois par mois de 14 à 15 heures le vendredi après-midi (même si la fréquence n’est plus aussi régulière, vu leurs agendas archibondés), « et on se met un peu en scène en snobs musicaux », rigole Dockal. « On essaie de mettre un peu d’ordre dans le chaos musical », l’avait appelé Hans Fellner à l’antenne. En tout cas, plus la musique est « freaky » et originale, mieux c’est.
Tom Dockal n’est pas « du sérail » et cela fait toute sa fraîcheur : il n’est pas membre d’une grande famille bourgeoise de la galaxie culturo-politique, n’a pas fait ses études à la même université qu’un tel ou telle autre. Rat de bibliothèque et assoiffé de savoir éclectique, il observe et se passionne, regarde, écoute et apprend. C’est lui par exemple qui avait enregistré – et diffusé – ce moment incongru où, après la première du film Foreign Affairs de Pasha Rafiy, on l’entendait courir après le ministre des Affaires étrangères Jean Asselborn (LSAP), dans l’espoir de pouvoir lui poser deux ou trois questions sur le film, le ministre lui lançant un simple « on va faire ça une autre fois, hein ?! », probablement parce qu’il ne le connaissait pas et que son micro était bleu et pas rouge. Lui aussi qui anime, avec Cléo Thoma, Nei am Kino, une émission de cinéma tous les mercredis où ils parlent des nouveaux films, osent les critiquer et discuter leur esthétique ou leur idéologie, une émission à mille lieues de celles qui ne font plus que de la communication des boîtes de production. Faire du boucan, « avoir des couilles dans ce qu’on fait » comme il disait à Ara, Tom Dockal ne fait que commencer. Son gros projet : monter une version luxembourgeoise de Mendy – Das Wusical, un musical chaotique du cultissime Helge Schneider. Cela devrait être faisable, dans le contexte actuel de politique culturelle luxembourgeoise.