Dans la petite commune de Sandhausen en Allemagne, les membres du ô combien talentueux Marly Marques Quintet enregistrent les dernières pistes de leur prochain album. C’est dans une maison atypique en briques, camouflant un prestigieux studio, que la magie opère. Pendant que Jitz Jeitz imbibe la pièce des notes s’exfiltrant de son saxophone, Claude Schaus au piano et Laurent Peckels à la contrebasse donnent le tempo. Dans un box à part, mais aux yeux de ses camarades, Paul Fox à la batterie. En dehors du sas d’enregistrement, Markus, l’ingénieur du son, est en charmante compagnie, non pas des machines et des consoles de mixage, mais de Marly Marques au microphone qui observe les musiciens à travers une grande vitre. Tous les superlatifs imaginables ont déjà été utilisés par la presse pour parler du Quintet, et notamment de la voix de la jeune jazzwoman polyglotte.
Jazzwoman par la force des choses. « Je suis une chanteuse de jazz parce que je suis dans un groupe de jazz, c’est aussi simple que ça », admet-elle. Bien que passionnée par le chant en général depuis son enfance, ce n’est pas forcément le jazz qui lui fait vivre ses premiers émois musicaux. Du classique, puis du blues, elle rencontre Paul Fox qui revient de New York après avoir fait des études de jazz à Mannheim, et qui cherche justement une chanteuse. Les autres musiciens se connaissent déjà, la connexion semble donc évidente. Le Marly Marques Quintet voit le jour en 2010, pour un premier concert donné en 2011. Ils ont toujours du mal à définir leur musique. Tous les membres sont très ouverts, ils écoutent à peu près de tout « sauf de la polka » s’amuse le batteur. Ils acquiescent néanmoins lorsqu’on évoque l’appellation jazz-musique du monde.
Dans le studio, l’ambiance est bon enfant. On plaisante, on se charrie, mais le sérieux reprend souvent le dessus. En plein après-midi, alors qu’une canicule frappe la ville, les musiciens bloquent sur le dernier morceau, le onzième, ils improvisent. L’ingénieur du son, attentif, conseille puis jubile lorsqu’une note sonne particulièrement juste. Ils paraissent inséparables, pourtant ils ont des âges et des vies différentes, mais sont aussi membres d’autres formations musicales. Jitz Jeitz en charge des instruments à vent, saxophone et clarinette, a son propre quartet depuis 2009 avec Claude Schaus pianiste du groupe, John Schlammes et Michel Mootz. Laurent Peckels s’occupe des percussions dans plusieurs formations, notamment en Allemagne avec le Mellika acoustic Quartet. Enfin, Paul Fox est à la tête du Paul Fox Collective. Des collaborations extérieures abondantes, ce qui n’empêche pas les membres du groupe de rester très proches.
« C’est assez intensif, on voyage beaucoup. On a investi beaucoup de temps dans ce projet », assure le bassiste. Néanmoins, il subsiste une face assez cachée de la musique live et probablement encore plus du jazz. Très souvent les collaborations musicales sont comme robotisées devenant ainsi de simples relations de travail sans affects, mettant de côté l’aspect humain des envolées jazzesques qui peuvent découler de rencontres artistiques. Marly Marques coupe court, « Chez nous non ! Nous sommes amis dans la vie de tous les jours. D’ailleurs on nous le dit souvent après nos concerts, qu’on s’amuse bien sur scène. Les gens remarquent qu’on n’est pas juste des musiciens pour ce moment précis ». De son côté, Jitz Jeitz admet que, sur scène, il a besoin de communiquer, de s’amuser, « pour moi c’est essentiel, sinon je ne peux pas faire ça ».
De nombreuses scènes ont été arpentées par le quintet depuis leur mise en route. À peu près tous les essentiels du pays. Pour l’étranger, et non pas dans l’ordre chronologique, le Liban, le Cap vert, le Portugal, l’Allemagne, puis la France avec Thionville, Lille ou encore l’Alsace où le groupe se souvient spécialement d’une dégustation de vins et d’un concert donné dans une Abbaye. « Quand on a la chance de voyager pour notre musique, on aime beaucoup faire quelque chose de local à côté », de cette manière chaque date reste une expérience à part.
Pour tourner, le bouche à oreille reste une valeur sûre. En 2014 le quintet a remporté un concours organisé par le festival Crest Jazz Vocal. « Crest nous a beaucoup apporté », reconnaît Laurent Peckels. Au delà d’une certaine fierté, le gain d’un concours c’est la garantie d’ajouter une ligne sur le curriculum vitae de la formation. La concurrence est une réalité, le public veut de la nouveauté, et c’est pour cette raison aussi que le quintet prépare son second album.
Quelques jours plus tard, l’album est enregistré, il sera encore mixé puis pressé indépendamment d’une major. Le Quintet reste un indépendant mais n’est en aucun cas rebuté par l’éventualité de signer avec une maison de disques. En attendant, ils donnent un concert au Melusina à l’occasion du Blues’n Jazz Rallye. Il est encore tôt, le public est timide à Clausen mais l’énergie exprimée sur scène par les musiciens complices est telle que des curieux entrent dans le bar, envoûtés par la superbe voix et la folie des instruments. Chacun a droit à son moment, quand, par exemple, la chanteuse et le saxophoniste n’ont pas besoin de jouer durant les improvisations de la section rythmique, ils ont l’élégance de quitter la scène. Même si le Marly Marques Quintet porte le nom de la chanteuse, c’est finalement malgré elle car c’est la coutume. Chacun des membres est un pilier, et au risque de tomber dans le pathos, le groupe ne fait qu’un en faisant l’impasse sur les éventuelles prétentions de chacun, comme c’est souvent le cas en musique.