Samedi 27 août à Hussigny-Godbrange, en France, le festival Jazz en sol mineur bat son plein. Une violente averse sème la panique avant qu’un jeune batteur luxembourgeois ne monte sur scène. Il s’agit de Pit Dahm, accompagné par les membres de son trio, Charley Rose au saxophone alto et Lennart Heyndels à la contrebasse. Le batteur, il y a peu encore étudiant à Amsterdam, a récemment obtenu son master. Dernier lauréat en date du prix musical Toots Thielemans, nous avons évidemment une pensée pour le génial belge, auteur du légendaire standard Bluesette, décédé le 22 août dernier. L’hommage étant fait, faisons place à cette jeune génération que représente Pit Dahm. Ils reviennent de l’Est où ils ont donné des concerts à Prague et à Budapest dans la semaine, ils sont rodés. Au festival donc, le trio du batteur commence par un medley de plusieurs morceaux extraits d’Omicron, leur premier album présenté en mai dernier au festival Like a jazz machine à Dudelange.
« Nous avons enregistré l’album à Dudelange en quatre jours, ce qui est déjà beaucoup pour une session jazz. J’ai composé la moitié des titres, le reste vient d’Harmen Fraanje, pianiste, qui nous rejoint très souvent. Pour le titre éponyme, j’ai transformé les lettres en nombres puis en notes jouées. Et puis j’aime la sonorité du mot Omicron », confesse Pit Dahm. Avant l’élaboration de l’album, les trois musiciens se sont rencontrés durant leurs études. « Cela faisait trois ans que je voulais monter un groupe, nous avons joué des jams ensemble et le courant est passé ». Mis à part son trio hybride, puisqu’il devient quatuor lorsque Harmen Fraanje se libère, le batteur s’est démarqué en tant que multi-instrumentaliste notamment pour le collectif Urban Voyage, initiative du tout aussi jeune et talentueux bassiste luxembourgeois Pol Belardi, son colocataire trois ans durant à Amsterdam. « Dans ce projet, je me suis occupé du vibraphone et des percussions en général, c’est une bonne chose de sortir de sa zone de confort », reconnaît-il, lui qui compose d’ailleurs ses titres au piano.
Durant ses études déjà, le batteur accompagné par les musiciens de son trio, ou bien en tant que sideman et remplacement, tournait beaucoup. Les deux dernières années, il se voyait lui-même plus comme un working musician que comme étudiant. « Cela représentait beaucoup de temps en bagnole, mais disons que ça se passait plutôt bien ». Les cachets qu’il touchait alors servaient surtout à payer l’essence, admet-il, amusé. Les deux autres membres du trio sont eux aussi musiciens à temps plein. Sidemen exigeants à différents niveaux. « On commence à faire le tri, c’est superficiel d’accepter toutes les dates », selon Charley Rose, saxophoniste, qui comme ses camarades cherche à approfondir ses relations et sa musique. Mais que vaut cette musique au juste ?
La musique jouée sur scène reprend des thèmes de l’album, tout en y mêlant de longues improvisations. Une musique exigeante ou compliquée, cela dépend de chacun. Leur style tranche avec les autres artistes programmés ce soir-là. Le Jean-Luc Kockler Quartet, qui reprend le répertoire du toujours aussi populaire Claude Nougaro, et Anne Pacéo avec sa délicatesse qui font l’unanimité. En entendant le trio du batteur en revanche, on pourrait penser à du free jazz teinté d’un certain mysticisme, mais il n’en est rien, chaque note a été soigneusement étudiée et dosée. Les trois musiciens sont brillants, ils ne sont pas là pour plaisanter mais bien pour offrir une performance de haute volée. Pit Dahm est comme possédé, son jeu rappelle celui d’Elvin Jones, collaborateur à la batterie de John Coltrane. Les spectateurs passés à côté auront encore de très nombreuses occasions de se rattraper. L’avenir du trio risque d’être riche.
« J’ai des idées à long terme. Déjà ne jamais s’arrêter, ce qui est la chose la plus importante. On a aussi cette idée de concevoir un album avec un ensemble musical plus grand. Charley, Lennart et Harmen m’inspirent de nouvelles idées. Mais pour l’instant, on consacre notre temps à Omicron ». En général les musiciens interrogés sur la question du plan de carrière répondent à côté, mettant surtout en avant le feeling. Pit Dahm pense à son avenir, à la conception d’une œuvre, mais sait aussi qu’il devra faire preuve de « passion et de patience », les deux clés de la réussite selon lui.
Sa vie professionnelle n’est pas celle qu’on imagine aux premiers abords. Avant les voyages, les concerts, les rencontres et les performances jazzesques, de longues démarches administratives sont nécessaires. « En vérité, la musique c’est dix pour cent du travail. Le reste c’est écrire des mails, s’informer sur les taxes, les impôts, rédiger des contrats. Toutefois, sur scène, on oublie tout ça ». La vie de musicien fait rêver mais n’est pas de tout repos. Bien qu’il remet en cause le réalisme de l’acclamé Whiplash, film de Damien Chazelle qui dépeignait les mésaventures d’un batteur de jazz, il reconnaît avoir fait face à des gens aussi tyranniques que le personnage du professeur interprété par J.K. Simmons, oscarisé pour le rôle. « Cela existe dans la musique, mais aussi dans la danse classique ou même dans le travail de bureau, en vérité dans toutes les professions. Beaucoup n’ont pas la chance de monter sur scène par contre », la scène qui représente en somme, un exutoire de choix.
Pit Dahm, conscient de sa jeunesse et des possibilités infinies qui s’ouvrent à lui, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et se sent prêt à tout affronter ou plutôt à tout accepter, « les situations, les gens, la musique, les fausses notes », mais jusqu’ici tout va bien.