Un samedi soir, en centre-ville de Luxembourg, des dizaines de personnes se pressent au café Interview pour y voir jouer le Benoit Martiny Band. Fondé en 2004 dans un garage à Rameldange, le groupe a été prolifique, quatre albums studio, un récent DVD, The Grand Cosmic Journey (voir d’Land du 24 juin) et de très nombreux concerts à son actif, au Grand-Duché comme à l’étranger, mais cela va de soi. C’est une curieuse formation, à l’allure quelque peu grunge, où se côtoient les saxophones et la guitare électrique. Curieuse, car pour certains indécise entre le jazz et le rock. « On a toujours le même problème avec les festivals. Nous sommes trop rock pour les festivals de jazz, et nous sommes trop jazz pour les festivals de rock », s’amuse Benoit Martiny, le leader batteur. Cette malédiction des cases musicales dans lesquelles on doit tout englober n’a en aucun cas été un frein pour eux. À chaque fois, ils ont dû et su s’adapter. Une allure de rockeurs qui tranche avec leur musique, il est vrai, d’une énergie folle, mais aussi d’une technique et d’un équilibre chirurgical des genres.
Au café Interview, des connaissances ont fait le déplacement, mais aussi un public exigeant qu’il va falloir convaincre. Aucun problème de ce coté, le groupe n’a aucun mal à osciller entre les scènes prestigieuses et les bars, ou clubs. « On ne gagne peut-être pas grand chose, mais c’est plus social. D’ailleurs ici, ce bar est légendaire. Je suis passé devant à l’âge de treize ans, la musique était très forte, c’était un rêve de pouvoir y rentrer ». Un côté social mais aussi centré, puisque la tête d’affiche ce soir-là, c’est le groupe. La veille, ils se présentaient au festival e-Lake à Echternach. Dans le public, beaucoup de jeunes qui étaient surtout là pour d’autres formations de rap. Mais en général, on apprécie. « Alors, il faut trouver le public qui aime ça. Les gens qui aiment le free-jazz ou le krautrock », malgré cette barrière, Benoit Martiny s’étonne toujours de la diversité de son public.
Même si, avec beaucoup d’humour, il se donne volontairement une image de looser de l’industrie du disque – « Zéro disque vendu, zéro argent, zéro fan » –, son constat est faussé. À la fin du concert, on achète son dernier DVD, plus globalement le groupe enchaîne les concerts et les médias européens spécialisés sont ravis. Outre l’Europe, le groupe s’est déplacé au Japon. « C’est au Japon qu’on a vendu le plus de disques, les spectateurs demandaient des signatures alors qu’on était inconnu. Ils se renseignaient sur nous avant le concert ». Pour ce qui est des concerts un peu plus modestes, la devise du batteur est « Do it yourself ». En 2014 par exemple, pour pouvoir jouer au festival Like a Jazz Machine à Dudelange, le groupe à dû se recalibrer, devenir plus jazz, nous y revenons. Est né par la suite The Grand Cosmic Journey, projet exclusif pour le festival. Pour ce qui est des disques, on l’aide pour la distribution. Toujours est-il que Benoit Martiny est assez dubitatif concernant les labels : « Trouver un label qui te laisse faire ce que tu veux c’est quasiment impossible ». À quoi bon signer avec le diable pour ne pas être le chef de son propre disque ?
Son expérience en plus d’une décennie d’activité a été forgée par à peu près toutes les difficultés musicales imaginables. « J’ai appris que le monde de la musique est vraiment sale », et ce même si au Luxembourg, les aides restent conséquentes. « Cependant au Luxembourg, tout est concentré dans les centres culturels. D’un point de vue c’est super car le monde culturel est riche, mais en même temps c’est une petite ville donc quand tout est concentré, quand il y a trop d’événements, les gens ne savent plus trop où aller. Ils vont naturellement à l’événement le plus international. Si je joue dans un petit bar alors qu’un grand nom joue à la Philharmonie, le choix sera vite fait ». Mise à part la position du Luxembourg, le groupe fait face à l’arrivée d’internet et de l’évolution de l’industrie avec une certaine méfiance. « Internet c’est à double tranchant. Tout le monde est musicien et peut mettre sa musique sur internet. Aujourd’hui il y a trop d’informations ». Sans une aide conséquente des médias à un moment donné, il n’y a pas de possibilité de devenir « world famous ». L’industrie du disque est en crise, ce n’est pas un secret, et le jazz particulièrement n’est pas grand public. Son producteur et ami de Badass Yogi Productions, présent ce soir-là, acquiesce : « On s’en rend compte car dans les festivals ou les petits clubs, on croise toujours les mêmes personnes ».
Pour revenir au concert, le groupe s’amuse. Bien que catalogué comme Luxembourgeois, trois de ses membres sont Hollandais, la langue anglaise est de rigueur pour la communication. Plus le temps passe et plus les curieux affluent. Pour les présentations tardives, le groupe est composé de cinq musiciens, Martiny le batteur donc, mais aussi Sandor Kem à la basse, Frank Jonas à la guitare électrique, Jasper Van Damme au saxophone alto et enfin Joao Driessen au saxophone ténor. Interprétant un morceau inédit mais aussi leur dernier single en date, Not Just a Fling, le groupe met à l’aise. On retient des solos dantesques au saxophone, mais surtout de l’énergie et de la sincérité. Benoit Martiny, qui reste toujours très humble, cherche simplement à tourner, et ne pas finir à sec à la fin. Dans dix ans il aimerait être à la même place, avec quelques beaux voyages et de belles salles au compteur en plus.