Jeudi 4 août, en début de soirée, sur la Place d’Armes au centre de Luxembourg, se prépare un curieux spectacle. Les quatre membres de Saxitude discutent derrière la scène. Le quatuor, formé en 2003 par Robi Arend, est habitué aux concerts, notamment en plein air. Ce qui fait la particularité du groupe, c’est qu’aucune préparation n’est nécessaire, ni installation technique ni même une répétition, ils sont rodés. Robi Arend au saxophone ténor, Thomas Diemert au saxophone baryton, Rémi Fox au saxophone alto et Pierre Cocq-Amann oscillant entre l’alto et le soprano. Ces magnifiques instruments à vent, en cuivre, que sont les saxophones sont faciles à différencier, « plus le saxophone est grand, plus la voix est basse, grave ». Des touristes asiatiques viennent demander une photo, les membres du groupe ont l’habitude. La formation s’est déjà rendue en Asie à trois reprises. Pour le Congrès mondial du saxophone à Bangkok en 2009 d’abord. Puis, des concerts ont suivi, ainsi qu’un partenariat avec une marque taïwanaise.
La formation est identique depuis presque dix ans. Une décennie de musique, un parcours singulier découlant d’une certaine volonté de leur part. « Nous avons joué dans une grue, un rafting, sur des pistes de ski en Suisse, dans une nacelle à la Philharmonie, c’est acrobatique parfois » reconnaît Rémi Fox. « On cherche à faire des choses atypiques pour être différents des autres groupes aussi, déjà un quatuor avec exclusivement des saxophones... Les quatuors au Luxembourg font du classique en général », poursuit Robi Arend, qui est en quelque sorte le manager du groupe, on le surnomme « chef » pour le taquiner. Depuis une décennie donc, les quatre comparses se déplacent régulièrement, on leur propose beaucoup d’engagements du fait de leur flexibilité. « L’avantage c’est qu’on n’a pas besoin de sonorisation pour jouer, on peut déambuler dans la rue, comme dans une parade ou des choses de ce genre. Niveau matériel on a besoin de rien, en 30 secondes nous sommes prêts ». Et en effet, à vingt heures pétantes, la formation qui n’est « jamais en retard » s’installe sur la scène de la place, les terrasses sont occupées, quelques curieux s’approchent.
La musique apparaît, quatre saxophones au naturel. Inutile de rappeler, et c’est évident, qu’un bon quatuor de saxophones peut rendre n’importe quelle musique agréable à l’écoute, peu importe son genre. De Stevie Wonder à Bruno Mars, le public s’amuse à reconnaître les musiques jouées. Des standards du jazz, aux chansons populaires. Leur répertoire est varié. Ils essayent d’enregistrer des disques régulièrement, en totale auto-production. Leur distributeur luxembourgeois n’existe plus, ainsi ils envisagent les disques comme des cartes de visite, des souvenirs. Leur dernier, Four brothers, selon le morceau éponyme de Jimmy Giuffre datant de 1947, est paru cette année. Des standards donc, mais aussi du Earth, Wind & Fire ou encore le hit de Pharrell Williams, Happy. Sans oublier des compositions originales comme la belle Mega Bossa.
« Tous les styles musicaux sont intéressants, le plaisir de partager avec ses amis la passion de la musique est la seule chose qui importe », c’est à peu près de cette manière que se termine Nino Sopranino, un spectacle pour enfants écrit en 2011 et interprété encore aujourd’hui par le quatuor. Dans ce conte, les instruments sont personnifiés, Nino Sopranino et son frère aîné Adriano soprano découvrent la musique de leur père Tenore amore, le saxophone ténor. Les plus jeunes ont le plaisir de découvrir le funk par le biais du I got you (I feel good) de James Brown, de la musique classique avec le Boléro de Maurice Ravel (et son amusante variante reggae), le jazz avec Glenn Miller, l’improvisation sur Take Five, chef d’œuvre absolu de Paul Desmond et enfin la pop avec Thriller. Une initiative qu’on ne peut que saluer. Initiative qui dépasse les frontières géographiques et linguistiques : le spectacle a été joué pour la première fois en anglais en juillet dernier à Birmingham, à l’occasion d’un festival de jazz.
Les frontières quant à elles sont seulement anecdotiques. Robi Arend est Luxembourgeois, ses acolytes tous les trois Français. « Les frontaliers sont toujours attirés par le Luxembourg », reconnaît Thomas Diemert. Rémi Fox qui habite à Paris avoue au contraire être surpris par le fait que de plus en plus de musiciens luxembourgeois apparaissent sur les scènes parisiennes. Tous sont d’accord pour dire que la scène actuelle Luxembourgeoise est en constante évolution. Des jeunes premiers, aux jazzmen émérites en passant donc par les formations atypiques comme ce quatuor à vent.
De leur côté, ils ne se plaignent pas, tous sont des musiciens de profession apparemment comblés. « Il y a la scène et éventuellement l’option des cours. Mais en tant qu’intermittents du spectacle, nous avons assez de scènes avec le groupe pour pouvoir en vivre », annonce Pierre Cocq-Amann, fier mais lucide. Présents depuis 2003, ils ont eu droit à leur part du gâteau et comptent bien la garder. Une décennie a forgé leur professionnalisme évident. Durant leur concert sur la Place d’Armes, les morceaux s’enchaînent, les vacanciers installés sur les terrasses avoisinantes applaudissent, un petit groupe de spectateurs s’est formé timidement, le quatuor part à leur rencontre, en continuant à jouer. Ils déambulent à travers la place. Une jeune femme passablement éméchée se met à danser, imaginant une chorégraphie ubuesque. Après tout la musique est faite pour extérioriser les sentiments. La timidité, premier trait de caractère du public luxembourgeois, laisse place à la joie. Viendra, on l’espère, un jour où cette manie dansante se propagera. En 2018, nous fêterons les 500 ans de l’épidémie dansante de Strasbourg, phénomène onirique qui poussa mystérieusement des centaines de badauds à danser hystériquement, jusqu’à la mort pour certains. Nous mettrons de côté l’aspect mortuaire de la chose.
En attendant, le quatuor compte prendre un mois de vacances. Ils joueront le 4 septembre prochain pour l’Apéro-Jazz de Neimënster.