Le parcours de Jean-Guillaume Weis est atypique dans la mesure où il est l’un des rares chorégraphes luxembourgeois à avoir une expérience de danseur dans des compagnies de renom telles que notamment au Tanztheater avec Pina Bausch, avec Mark Morris Dance Group and Tanztheater Basel. Revenu depuis 1998 à Luxembourg, il occupe progressivement une place de plus en plus significative sur la scène de la danse contemporaine autochtone.
Pourtant assez convenue, surtout le premier tableau, la création de Frauentanz d’une heure 10 sans entracte prend la forme du Tanztheater. Des clins d’œil à Pina Bausch sont distillés tout au long de la représentation. Ainsi en est-il par exemple de la scène des cheveux mouillés dans la baignoire. Expressivité et théâtralité sont donc reprises dans l’écriture chorégraphique et dans les mouvements des danseuses dans une scénographie très adaptée de Trixi Weis et des lumières subtilement retenues de Max Kohl (petit bémol : à ce niveau de professionnalisme, l’absence de toute mention relative à la conception musicale pourtant bien présente dans la création ou du moins celle des titres joués et interprétés laissent dubitative). Ce mélange de genre permet d’utiliser le corps des danseuses et d’élargir le contexte de l’écriture chorégraphique par leur présence et leur regard.
Dix danseuses dans des tableaux essentiellement collectifs sont chorégraphiées par un chorégraphe-danseur masculin à partir du regard qu’elles portent sur elles-mêmes. Dix interprètes avec un très bon niveau technique –même si de petites erreurs de synchronisation des mouvements pouvaient être relevées ponctuellement – s’expriment dans les tableaux collectifs et occupent à leur manière l’espace. Dans Frauentanz, Jean-Guillaume Weis dit : « Je souhaite montrer la motivation, l’urgence, la nécessité qu’elles ont de danser leur vie de femme ».
Cette création apparaît d’une certaine manière comment une complémentarité nécessaire à la précédente création, Männertanz, laquelle reprenait le parcours et la raison des choix des hommes. Il est vrai que la danse contemporaine, a contrario de la danse dite classique, a permis une certaine transgression dans la répartition initiale rôle homme – femme dans la danse. Ainsi la danse des hommes et la danse des femmes est moins séparée sur le plan gestuel, les mouvements propres aux hommes et aux femmes tendent à s’effacer. De même, sur le plan symbolique, ce que racontent les femmes peut ne plus être si différent de ce que racontent les hommes.
Lorsque ces codes sont posés, alors l’improvisation permet de s’exprimer et de traduire son environnement. Quelques solos et duos dans des espaces séparés du groupe déclinent les traits spécifiques de personnalité individuelle des danseuses dans les divers registres des mouvements de danse : sauts, travail au sol, déboulés, jetés etc. Le rythme est extrêmement soutenu, frénétique jusqu’à l’épuisement semble-t-il. La question du rapport au corps qu’entretiennent les danseurs en général est sous-jacente.
La chorégraphie de Jean-Guillaume Weis évolue clairement de l’image d’un corps vertical parfait, aérien à celle d’un corps horizontal qui utilise son poids et s’ancre dans le sol. Le corps devient lui-même « spectacle » en ce qu’il y a à voir et à comprendre. Ses dix danseuses témoignent de leur effort à s’épanouir à travers la pratique de la danse, explorant leur corps, ses articulations, rondeurs et arabesques. Elles utilisent leur ancrage dans le sol en fonction du centre de gravité propre au corps et en respectant leur morphologie réelle et non pas rêvée, même si la technique et la virtuosité sont présentes.
Elles déclinent des techniques de mouvements fondés sur la respiration, le poids etc. avec une plasticité nouvelle et les corps deviennent soudainement une sorte de matière argileuse modelable. Appelons cela le passage de la notion de corps à celle de corporéité ou la création de nouvelles corporéités…