Présentée au théâtre des Capucins, le 6 et 12 mai dernier, la dernière création de Sylvia Camarda, danseuse et de Sascha Ley, chanteuse et actrice a fait salle comble. Le thème : retracer la vie et l’exceptionnalité de Frida Kahlo (1907-1954), femme et artiste engagée. Une répartition des rôles tantôt féminin ou masculin : Frida et Diego et de leurs expressions artistiques pour l’une, la danse et pour l’autre, la voix et la musique a permis un équilibre très apprécié pendant plus d’une heure de représentation.
Difficile de ne pas évoquer la vie et l’œuvre de cette personnalité hors du commun qu’est Frida Kahlo pour comprendre à quel point les artistes ont été subjuguées par elle. Frida Kahlo, c’est tout d’abord le Mexique, sa culture du début du XXe siècle, la bourgeoisie, la relation forte entre un père et sa fille et l’érudition par l’esthétisme.
Puis viennent les souffrances physiques très traumatisantes tant dans le corps que dans l’esprit. Les premières blessures affectives et l’art s’imposant comme seule arme pour combattre la mort psychique ou physique. Un miroir pour refléter le bleu du ciel et son visage et le début d’une série d’autoportraits pour la vie. La création prend donc le dessus et vient sublimer cette fatalité, pour laisser une œuvre majeure de la peinture du XXe siècle – essentiellement des autoportraits, mais aussi des textes, inclassables et surtout pas dans la catégorie des surréalistes.
Frida Kahlo exécrait le mouvement surréaliste de Paris et rejetait le modèle de l’époque de « l’intellectuel artiste parisien » qui, selon elle, était tellement compliqué et détaché des réalités qu’elle comprenait – disait-elle dans ses écrits que de tels intellectuels n’ayant rien fait pour changer le monde dans lequel ils vivaient, aient pu voir arriver le nazisme. Sans compromis politique, elle fuit les États-Unis alors que son mari, Diego est fasciné un temps par le modèle américain.
La création Mi Frida se déroule chronologiquement par l’entrée sur scène de Sascha Ley courant les mains en sang, puis viennent les prothèses, le fauteuil roulant et le corset suite aux événements tragiques d’une poliomyélite, d’un accident de tramway et de trop nombreuses opérations et fausses couches. Suivent la rencontre avec Diego Rivera (1886 -1957), les amours bisexuelles et les trahisons ainsi que les engagements politiques sur fond de peinture intense, colorée.
Intense, combative, sensuelle mais aussi si fragile, Frida Kahlo prend une réalité physique grâce à la puissance du style très personnel de Sylvia Camarda. Le passage des équilibres/déséquilibres sur les prothèses risqué techniquement laisse place malgré tout à un peu d’humour. Sascha Ley est magistrale dans son interprétation a capella de la chanson Cucurucucu Paloma subtile et délicate dans la lignée de l’interprétation de Gaetano Veloso dans le formidable film Habla con Ella de Pedro Almodovar !
Il y avait peut-être plus de place à donner au chant et moins à accorder aux témoignages sonores des uns et des autres sur Frida Kahlo. La chanteuse Chavela Vargas décédée à 93 ans en 2012 a longtemps vécu dans la maison de Kahlo et sa présence dans le film Frida aux côtés de Salma Hayek en dit long sur la présence majeure de la musique dans l’univers artistique ambiant propice au cercle vertueux du processus artistique.
La relation du couple mythique formé par Frida Kahlo et Diego Rivera est abordée à travers son côté passionnel mais pas sur le plan de leurs œuvres réciproques lesquelles sont symboliques par leur complémentarité de leur histoire personnelle : un divorce impossible, un attachement commun viscéral au Mexique, et une passion réelle et mystique. L’incarnation du personnage et de son univers suffisait à rendre la création très intéressante. À voir pour les prochaines dates en mai ou dans le futur, si la création ne profiterait pas d’un peu plus d’improvisation et de distance sur le personnage avec des parenthèses moins réalistes et plus symboliques.
A la muerte… a la vida… el dolor y el amor.