On ne sait plus quoi faire de nos trottoirs. Voilà que des pianos sont annoncés jusqu’au 21 juin sur les trottoirs de la capitale. Après les vaches, les rennes et les éléphants, on s’attendait à un autre avatar animalier. Bing, par surprise, alors qu’il restait encore les girafes, les cochons d’Inde et les ornithorynques, ce sont des instruments de musique qu’on va installer, en pleine coupe du Monde, comme si on craignait que les rues allaient être trop silencieuses après la distribution de vuvuzelas oranges lors du marathon. Tout ceci sous le prétexte de recréer du lien social entre les habitants des grandes villes qui se croisent sans se connaître. Une lubie d’artiste, donc, cette fois-ci, et pas une bonne cause particulière à défendre. Le dénommé Luke Jerram, par ailleurs adepte de sculptures sur verre représentant des virus mortels ou de concerts en plein air donnés par des montgolfières s’envolant à la tombée de la nuit, a déjà organisé son lâcher de pianos dans plusieurs villes du monde (Paris, New York, Toronto, Londres, Munich…) depuis 2008. Et, attention, ce ne sont pas des pianos en fibres de verre ou en plastique, comme les éléphants de l’année dernière, non, même s’ils seront peints de toutes les couleurs et décorés soit par des artistes soit par des enfants, ce sont de vrais pianos, qui font de la vraie musique. Ou, plutôt, qui permettront de jouer de la vraie musique tant qu’ils resteront accordés et résisteront aux assauts répétés et concurrents des intempéries, des variations de température, des déjections de volatiles et des multiples tentatives des apprentis Beethoven qui viendront certainement y écrire quelques centaines de lettres à Elise, avec plus ou moins de délicatesse.
L’initiative de cette année a au moins le mérite de renouveler le genre, puisqu’on n’avait rien vu d’utile fleurir sur nos trottoirs depuis les Vél’Oh, qui permettent aux amateurs de donner quelques coups de pédales même sans se munir de sa propre bicyclette, ou plus récemment, le bizarroïde parc de musculation en plein air installé à côté du Mini-Golf dans la vallée de la Pétrusse. Ici, il faudra se décider assez vite, puisqu’au bout de deux semaines les instruments seront retirés. On imagine que les voisins des lieux concernés apprécieront le caractère éphémère de l’installation, même s’il y a, parmi les endroits choisis, beaucoup de parcs (bateau pirate, villa Pescatore, parc de Merl…), et que la plupart des pianos auront des horaires limités dans la journée. Ainsi, beaucoup ne seront accessibles qu’entre 10 et 19 heures, avec des particularités comme à la Gare, où les horaires sont étendus de 6 heures du matin à 22 heures, ou à la place Léon XIII de Bonnevoie, où il ne sera permis de jouer que l’après-midi – peut-être pour ne pas trop importuner les sans-abris, qui auraient certainement préféré des douches ou des machines à laver en libre-service. Ce sera peut-être pour l’année prochaine ?
Le côté sympathique de l’opération, si l’on en croit les vidéos des éditions passées disponibles sur Internet, c’est de voir les gens faire la queue pour avoir leurs trois minutes de concert. L’opération se double, en effet, de sites internet dédiés à chaque ville, et même à chaque piano, où les gens peuvent déposer des commentaires, des vidéos ou des photos sur ce qu’ils ont vu. Dans la vraie vie, statistiquement parlant, on imagine que la proportion d’enfants virtuoses sera moins importante que sur YouTube, mais on peut toujours être surpris ! Il paraît que, à New York, Cindy Lauper a fait une petite improvisation sur un des engins de Time Square. À Prague, on peut voir un policier en uniforme jouer quelques minutes pour un de ses collègues. Si vous voulez faire une demande en mariage originale, il vous reste quelques jours pour apprendre à jouer My Heart Will Go On et préparer votre mise en scène digne d’une comédie romantique.
Et, de toute façon, cela fait des décennies que les guitaristes font leurs malins en jouant Losing My Religion dans toutes les rues piétonnes de toutes les villes du monde. Il est temps que les pianistes prennent leur revanche.