I quit ! Je crois que ce furent les chats. Grande allergique aux poils de chats dans la vraie vie, les photos et animations de Lol-Cats avaient le don de m’exaspérer. Avant. Quand j’étais encore sur Facebook. Il y avait les chats, et de plus en plus aussi les photos de bouffe. Qu’avaient donc soudain tous ces gens, que je croyais tout à fait sensés, à prendre des photos de leurs plats, que ce soient les pâtes trop grasses « de la nonna » ou une création culinaire d’un chef étoilé ? De préférence avant et après la dégustation, prises avec l’application Hipstamatic, qui donne cet air « authentique » et « arty » aux banalités les plus criantes. Un jour, entre les chats, la bouffe et les statut du genre « Bon, ben, je vais me coucher », c’en était trop, j’ai décidé de quitter Facebook. Just like that. Après une relation passionnelle de huit ans et des heures et des heures passées devant l’écran et son entête bleu ciel.
C’est qu’il a mal vieilli, le réseau social de Marc Zuckerberg. Bien sûr, quitter Facebook n’est pas un geste révolutionnaire. Au contraire, plusieurs vagues de départs tonitruants ont déjà fait le tour de la presse internationale, en réaction aux changements des conditions d’utilisation, à la dégradation de la protection de la vie privée, au grand bug d’il y a deux ans (par lequel des centaines de milliers de conversations privées sont devenues publiques), aux pratiques commerciales de plus en plus intrusives de la société. La dernière vague, entamée l’année dernière et qui a coûté des millions d’utilisateurs à Facebook de par le monde, essentiellement aux États-Unis et en Grande-Bretagne, a une explication aussi évidente que cruelle : l’ennui. Il ne se passe plus rien sur FB ! Avec un peu de malchance, le réseau social connaîtra le même sort que Myspace avant lui : réduit à l’état de cimetière où errent des profils zombies que leurs utilisateurs n’ont pas réussi à supprimer.
Verre grossissant Que le Srel, le MI6, la NSA ou Zuckerberg lui-même lisent mes statuts, je m’en foutais royalement. Une vieille règle dit que pour protéger un secret – on le dit pas, c’est tout. Il est peu probable qu’une dangereuse terroriste qui en voudrait à la monarchie ou aux ultra-cathos organise ses attaques par FB, ça croule sous le sens. Que nos préférences musicales, nos coups de cœurs cinématographiques ou tout autre contenu qu’on poste soient utilisés à des fins commerciales, bof, il faut juste en être conscient en se lançant dans le posting. Mais le plus désagréable est que Facebook, qu’on rêvait être un réseau de partage entre amis, vous transforme en voyeur et en exhibitionniste en même temps, qu’il fait sortir le pire en chacun de nous. C’est sur FB que pullulent les groupuscules fascistoïdes que l’on n’entend pas sur la place publique, les gens les plus banals s’y lancent dans des tirades racistes haineuses qui font froid dans le dos.
Désinhibiteur Au début, c’est rigolo : on publie une image de son cocktail, de ses doigts de pieds en éventail devant une piscine, d’un tableau dans un musée, d’un avion avant le départ, du doudou cousu main pour son enfant, de la première tarte aux pommes de la saison, d’un candidat aux élections législatives en campagne sur le marché hebdomadaire (de dos) ou d’une hypothétique star du cinéma cachée dans la pénombre derrière une plante verte, avec un petit trait d’esprit en légende (les bons jours) – et en l’espace de dix secondes, il y a un, deux, dix like dessous. La cousine germaine à qui on n’a pas parlé en quinze ans adooooore le nouveau vernis à ongles, le copain de lycée qui ne se lavait jamais veut savoir ce qu’est devenu le prof de mathématiques qui avait la même coiffure et la pouffiasse qu’on voulait virer de son réseau depuis longtemps répond par une insulte lourdingue (elle n’a pas changé, tiens !). C’est grisant de se croire intéressant, populaire, rigolot, plein d’esprit. Puis vient la tentation du selfie, de l’autoportrait sous son meilleur angle ; complètement désinhibé, on devient le metteur en scène de sa propre vie. Chaque mort se multiplie en autant de statuts pleins de compassion, chaque révolution d’un peuple qui lutte pour sa liberté en devient une ligne de statut FB. Nous sommes Mandela, la place Tahrir ou celle de Maïdan sans même lever le cul du canapé – c’est le degré zéro de l’engagement.
Mais il y a aussi tous les autres, ceux qui désormais savent tout sur toi sans jamais interagir. En gros deux tiers des « amis » qui vivotent encore dans le cercle de ceux qu’on a acceptés un jour pour une raison obscure. Ceux qui lisent passionnément les profils des autres, qui partagent leurs statuts et leurs photos avec leurs propres réseaux, qui vivent par procuration. Et peu à peu, cela devient un boulet, un poids à gérer comme le reste de la vague de communications qui se déverse sur vous dès que vous touchez votre téléphone portable, votre tablette ou votre ordinateur.
Fear of missing out Le dernier espoir que, professionnellement du moins, Facebook apporte un plus étaient les élections législatives de 2013 : et si, soudain, la campagne se passait sur les réseaux sociaux ? Prévoyante, j’ai aimé tous les partis, envoyé des demandes d’amis à tous les politiques que j’ai pu trouver en-ligne, accepté toutes les demandes de candidats dynamiques en mal de reconnaissance. Mais il ne se passait strictement rien. À part Xavier Bettel, aucun autre politique, ni de gauche, ni de droite, ne savait comment s’en servir ; on n’apprenait que les talents culinaires d’Alex Bodry (qui laisse derrière lui une cuisine bien salopée, photos à l’appui) ou de Mars di Bartolomeo. D’ailleurs, le nouveau gouvernement vient d’arrêter un guide pour tous les ministres et leurs administrations sur l’usage des réseaux sociaux à des fins professionnelles, ce n’est pas trop tôt. Tout indique désormais que Twitter va prendre le relais dans la communication politique, si même les très sérieux Anne Brasseur et Claude Wiseler s’y sont inscrits. Mais peut-être que même Twitter est déjà dépassé. Le Fomo – le Fear of missing out, cette peur de rater une nouvelle ou une tendance, a déjà été chassé par le Jomo – le Joy of missing out. Et si j’en faisais mon statut du jour ?