L’aimant de la main d’œuvre nationale, le secteur « protégé », comptait l’année dernière 54 700 salariés luxembourgeois, soit 55 pour cent de la totalité des personnes actives qui ont la nationalité luxembourgeoise. Le secteur protégé regroupe le secteur public, le domaine de la santé, l’action sociale et les activités associatives et culturelles. La segmentation du marché du travail, où moins de trois salariés sur dix sont des Luxembourgeois, est le plus visible à ce niveau-là. Ces dernières années, les frontaliers et les immigrés diplômés ont relayé l’immigration ouvrière classique. Intéressant aussi de voir que les frontaliers venant de Belgique sont les plus qualifiés.
Une étude de l’Université du Luxembourg, qui n’a pas encore été publiée, s’est surtout penchée sur le secteur public1, le noyau dur du secteur « protégé », dont les principaux atouts sont des conditions de travail correctes, la rémunération élevée, la perspective de carrière et la sécurité de l’emploi. Ce bastion est imperméabilisé par des conditions linguistiques et, dans la plupart des cas, l’exigence de la nationalité luxembourgeoise. La population étudiée concerne donc surtout les fonctionnaires et les salariés ayant un employeur de droit public – soit 42,3 pour cent des salariés luxembourgeois (en 1995, ils ne représentaient que 36,6 pour cent). Les quelque 42 000 Luxembourgeois y représentent 87,3 pour cent de l’ensemble des effectifs du secteur – des fonctionnaires en majorité (59 pour cent). Un salarié luxembourgeois sur quatre est donc aujourd’hui fonctionnaire.
Les conditions de recrutement, le principe de libre circulation de la main d’œuvre au sein de l’Union européenne et la législation nationale qui écarte les étrangers de la fonction publique par une interprétation restrictive des textes européens mènent parfois à des situations contradictoires sur le terrain. Environ un tiers des lignes de bus circulant dans la capitale sont desservies par des chauffeurs de sociétés privées et ne sont pas soumis à des conditions de nationalité ou de connaissances des trois langues officielles. Cependant, des incohérences de ce genre restent une exception, ajoute l’auteure de l’étude.
Même si les conditions de recrutement dans la fonction publique ont été assouplies, « dans les faits, l’intégration d’un salarié monolingue dans un environnement plurilingue n’est pas toujours aisée et peut constituer un frein à l’accès des étrangers au secteur public. Par ailleurs, des habitudes de recrutement se sont probablement installées, qui consistent à faire appel à la main-d’œuvre nationale plus par tradition que par réelle nécessité liée à la fonction. »
Affirmation intéressante, certes, seulement elle n’a pas été motivée par des données concrètes. C’est pareil pour la constatation que « c’est probablement le recours accru à la main-d’œuvre étrangère dans l’ensemble de l’économie luxembourgeoise qui a conduit un nombre croissant de salariés luxembourgeois vers le secteur public » – le secteur public, faute de mieux ? L’inverse pourrait être aussi vrai : les patrons du secteur privé embauchent davantage de main d’œuvre étrangère parce que le secteur public attire autant de salariés nationaux.
Le pourcentage de Luxembourgeois dans le secteur public a baissé depuis 1995 au bénéfice de la main d’œuvre française surtout. Les Chemins de fer, la Poste, la Banque et caisse d’épargne de l’État, la Banque centrale, l’Université du Luxembourg et l’administration publique ont embauché davantage de salariés étrangers ces dernières années. En 2008, ils ont représenté 12,7 pour cent des salariés du secteur public.
La stabilité du secteur est impressionnante : « 96,3 pour cent des salariés luxembourgeois occupés dans le secteur public en 1995 y travaillent encore treize ans plus tard. » Qu’est-ce qui motive les gens à rester à leur poste ? S’agit-il d’une même affectation ou y a-t-il eu des transferts internes importants pendant cette période ? Les nouveaux venus arrivent des secteurs de l’agriculture, de la construction, des services collectifs et sociaux ou du secteur Horeca. Ils sont moins nombreux à venir du secteur financier. Le passage vers le secteur public s’est accompagné d’une hausse de salaires dans plus de cinquante pour cent des cas.
Le mouvement inverse n’est pas aussi facile à définir. Entre 1995 et 2008, seul 3,7 pour cent des salariés ont quitté le secteur public vers d’autres aventures. Il n’a pas pu être établi s’ils sont partis de leur plein gré ou si leurs contrats ont pris fin. Le fait que beaucoup de jeunes quittent le secteur public laisse apparaître que c’est parce que leur contrat aidé (comme le contrat d’auxiliaire temporaire) est arrivé à terme. Pour le reste, il faudra attendre une analyse plus poussée pour savoir quelle a été la motivation réelle de ces départs, s’il s’agissait d’une meilleure opportunité dans le secteur privé ou l’envie de changer de trajectoire. Le degré de satisfaction et les possibilités d’épanouissement personnel des salariés du secteur public seraient aussi intéressants à analyser pour savoir finalement pourquoi ce secteur attire autant, si c’est peut-être juste parce qu’il offre un refuge et une sécurité inégalables sur le marché du travail – une bonne planque au risque de se retrouver dans une cage dorée.
1Le secteur public, Isabelle Pigeron-Piroth, Université du Luxembourg, mars 2009