En mai dernier, à l’occasion du festival Like a Jazz Machine, le public d’Opderschmelz découvrait une formation détonante. Tele-Port!, comprendre Jérôme Klein au clavier, Pol Belardi à la basse, Jeff Herr à la batterie et Zhenya Strigalev au saxophone. Le public connaissait évidemment les trois premiers, incontournables représentants du jeune jazz made in Luxembourg. Omniprésents et routiniers, on aurait pu craindre qu’ils ne se reposent sur leurs acquis, mais leur prestation fut une gifle. Quant au quatrième luron, musicien russe, outsider lunaire, faussement cynique et diablement attachant, il fut une incontestable révélation pour l’audience présente ce soir-là. Son accoutrement, une sorte de chemise vert pomme, rendait sceptique autant que son jeu et ses interventions faisaient mouche. C’est qu’on attendait avec une impatience enfantine leur retour. Leur set faisait suite à une résidence artistique. Et justement, le fruit de cette résidence, un album sympathique à défaut d’être réellement surprenant, a été présenté le jeudi 23 janvier, toujours au centre culturel de Dudelange. Retour sur un concert en dents de scie, entre coups d’éclat et frustrations.
À vue d’œil, 70 personnes ont répondu à l’appel de Tele-Port!, un chiffre honorable. Les rangées sont quelque peu parsemées, mais les irréductibles habitués de l’institution sont là et comptent bien en avoir pour leur argent. Une arrivée sur scène timide, sous des spots de lumière fuchsia, précède une entrée en matière qui l’est tout autant. L’ambiance est nébuleuse. Klein brise la glace avec un solo plus qu’efficace. Le saxophoniste est piqué au vif et entre dans la danse. S’ensuit un titre marqué par une ligne de basse saturée, des percussions solides et un duo clavier/saxophone jouant à l’unisson. « Le calme avant la tempête » espère-t-on. Mais le temps passe et la tempête ne se manifeste pas. Quelques morceaux retiennent l’attention, Epiphany et Halls en tête. À 20h36, Strigalev prend enfin le micro. Lunaire, il l’est toujours autant. Un peu moins inspiré peut-être. Il invite le public à se procurer leur album. Ce disque, paru chez Double Moon Records, est un sept titres de quarante minutes, à la pochette faussement futuriste et désuète, mais au contenu qui vaut le coup d’oreille.
Le texte accompagnant la sortie du disque nous promettait un « distillant d’ingrédients provenant autant du cœur d’Europe, des États-Unis et de l’Orient ». On a beau gratter les multiples couches de vernis, on ne trouve pas d’Orient dans cette musique-là. Résolument européenne et moderne, elle est inévitablement ponctuée par des grésillements dispensables provoqués par Pol Belardi, à genoux qui traficote ses petites machines. Pourtant, c’est debout, sa basse à la main qu’il est à son meilleur. Si la synergie de la troupe se fait toujours autant ressentir et que certains moments font écho aux émotions ressenties lors de la performance du Like a Jazz Machine, ce concert n’égale jamais son prédécesseur, qui aurait peut-être gagné à n’être qu’un one shot.
Lorsque la formation conclut le set en interprétant Flight With Only One Wing, on se met à espérer. Le meilleur morceau du projet contient un excellent leitmotiv, mais le saxophone, strident et totalement déchaîné à l’origine fait l’effet d’un pétard mouillé. Il a manqué de ce petit quelque chose en plus à ce concert. Puis après tout, on a le droit, voire le devoir peut-être, d’être exigeant avec de tels musiciens.