Depuis la disparition de Prince le 21 avril 2016, la famille du célèbre chanteur-compositeur américain se trouve en possession d’un legs estimé à plusieurs milliers d’heures d’enregistrements, tous restés inédits. Un trésor artistique rare, et bien évidemment alléchant d’un point de vue commercial, qui tient en haleine tous les fans de sa cour musicale.
Autant dire que la sortie, l’année dernière, d’un premier album posthume, intitulé Piano & a Microphone, fut un véritable choc. ' ce premier pas dans l’antre intime du chanteur s’est ajoutée, il y a trois semaines, la parution d’un second album, Originals, porté davantage sur la dimension collaborative de sa discographie, au service de groupes aussi divers que Appolonia 6 ou The Bangles. Toujours maître des cérémonies, le Prince des États-Unis règne, le plus souvent, sur les arrangements, la composition et l’interprétation, dévoilant à chaque morceau les multiples facettes de son génie choral et instrumental.
En à peine 35 minutes d’une grande intensité, Piano & a Microphone rassemble neuf esquisses solos plus ou moins improvisées au cours de l’année 1983. Il s’agit d’une période de transition au sein de la carrière du musicien. Prince n’a alors que 25 ans et s’est déjà fait connaître du grand public avec de premiers albums prometteurs – Prince (1979), aux accents pop-rock, Dirty mind l’année suivante, aux sonorités plus funky, et surtout le double album 1999 (1982), qui le confirme en étoile montante de la scène pop. C’est au terme de cette période fondatrice que survient Piano & a Microphone, où l’on découvre Prince dans son intimité, assis seul devant le piano, dans le homestudio aménagé dans sa propriété de Chanhassen, dans l’État du Minnesota. Le musicien, tel un fantôme, demande avant de commencer à son ingénieur du son : « That’s my echo ? », avant d’empoigner le piano dans un tourbillon de notes ardentes et enflammées, puis de poser sa voix sensuelle ; le chanteur bat la cadence du pied, électrisant aussitôt l’atmosphère avec 17 Days. La qualité d’enregistrement est telle que l’artiste semble jouer auprès de nous, pour un concert intime dont nous serions les témoins privilégiés. Les premières notes du second titre annoncent quant à elles le succès qu’il rencontrera l’année suivante, tout à la fois acteur et auteur de la bande-originale de Purple Rain, le biopic d’Albert Magnoli qui fera de Prince une icône mondiale à l’instar de Mickael Jackson. Les titres suivants s’enchâssent dans un grand bouillonnement de créativité, se répondent, se rehaussent, traversant les genres musicaux – le chant gospel et blues de Mary don’t you weep, que l’on retrouve au générique de fin du dernier film de Spike Lee (Blackkklansman, 2018) – comme sa voix trouble les identités sexuelles dans Case of you, rendant poreuses les frontières entre le masculin et le féminin.
Fraîchement sorti dans les bacs, Originals est autrement surprenant que Piano & a Microphone. D’une durée de 64 minutes, ce second opus regroupe une quinzaine de titres enregistrés principalement au début des années 80 pour d’autres formations ou chanteuses comme Sheila Escovedo ou Marta
Marrero. Au groove entraînant de Sex Shooter et de Jungle Love succèdent le hip-hop primitif de Holly Rock, une chanson country offerte à Kenny Rogers (You’re my Love), ou encore le minimalisme expérimental de Make Up composé pour le groupe Vanity 6. On en oublierait presque les romances sexy qui ponctuent l’album, comme Gigolos get lonely too et Love…Thy will be done, respectivement écrites pour The Time et Martika, ou sa version de Nothing compares 2 U, qui vient clôturer l’album, reprise à son compte par Sinéad O’Connor. Là encore, le prodigieux éclectisme de la star surprend, ainsi que sa sensibilité à l’affût des tendances esthétiques émergeant à l’époque – de la new wave en passant par le hip-hop new-yorkais. Voilà (presque) deux heures d’écoute qui permettront au fan de patienter. En attendant les prochaines livraisons de la famille princière.