« Uh uh uh uhuhuuuuuuh ». « Plus haut ». « Uh uh uh uhuhuuuuuuh ». « Va chercher la voix de tête ». « Uh uh uh uhuhuuuuuuh ». Une drôle de musique nous accueille ce mardi dans une des salles de la Kulturfabrik. Trois jeunes hommes, de noir vêtus, répètent inlassablement la voyelle en montant progressivement dans les aigus, puis recommencent en descendant dans les graves. L’exercice ne leur est pas familier, ils sont un peu crispés, mais appliqués. Quelques minutes plus tard, plus à l’aise, l’un d’entre eux répétera plusieurs fois et sur plusieurs tons un refrain qu’il connait bien : celui d’une de ses chansons, The structure’s above. Ce garçon, c’est Patrick Miranda qui mène le projet musical Pleasing. Il est entouré d’un batteur (Sacha Ewen) et d’un bassiste (Xavier Hofmann). Le groupe participe tout au long de la semaine au programme Francos-Fabrik. « L’objectif est d’accompagner l’émergence d’artistes de la nouvelle scène musicale luxembourgeoise avec un parcours d’encadrement à la carte », résume Loïc Clairet, le directeur des Francofolies Esch/Alzette.
Pour l’heure, Pleasing travaille la voix avec Carole Masseport, professeure de chant. Elle accompagne de jeunes artistes depuis bientôt dix ans. Elle explique que son approche est de débloquer les situations critiques en adaptant son travail à chacun. Enthousiaste et enjouée, elle trouve les bons mots pour rassurer et faire progresser Patrick Miranda qui nous avouera plus tard n’avoir jamais suivi de formation vocale. « Sur ce morceau, tu as le choix entre ta voix de poitrine ou de tête », lui explique-t-elle. Un peu perdu, il demande « C’est bien ou pas ? ». Ce à quoi elle répond : « C’est bien d’avoir plusieurs cordes à ton arc. Tu peux donner différentes intentions, mettre des effets. »
Pleasing n’en est pas à ses débuts. Ils ont joué lors du festival de talents émergeants Screaming Fields en 2018 et ont remporté le prix « booker’s choice », leur ouvrant la porte à plusieurs scènes comme le Gudde Wëllen ou les Rotondes. En 2021, Pleasing a sorti son premier album, In the mood for super dark times, accompagné de trois vidéos musicales. Son post-rock sombre, avec des sonorités denses, des nappes lourdes, des guitares distordues, correspond bien aux messages que Patrick Miranda veut faire passer dans ses textes. « J’essaye de mettre en lumière différents problèmes de santé mentale, comme les angoisses ou la tentation du suicide. Mon objectif est d’amener les gens à l’introspection. ». Ils ont ainsi présenté The moody room show sur était ainsi présenté KUK (KulturKanal) en collaboration avec la Ligue luxembourgeoise d’hygiène mentale sur avec la volonté d’agir contre la stigmatisation sociale entourant la santé mentale.
« L’année dernière, un ami, le rappeur Maz a suivi ce programme et nous en a parlé comme un moment très utile pour développer sa carrière », retrace le chanteur et guitariste. Il estime qu’avec une musique « assez underground, dans une niche peu diffusée », il est nécessaire de redoubler d’efforts pour se professionnaliser. Avec sa participation à la Franco-Fabrik, son espoir est de gagner en confiance et en expérience pour aller plus loin dans son rapport à la scène et au public, en termes de mouvements ou de transition entre les morceaux, par exemple. « Dans quelques semaines, le 28 avril, nous sortons un nouveau disque, avec un concert. C’est maintenant l’occasion d’être meilleurs dès les débuts de cet album. » Le matin-même, ils ont joué devant les autres participants et les intervenants qui les encadrent et accompagnent. En fin de journée, c’est l’heure du débriefing avec ces contributeurs venus de France. Danseuse, chorégraphe, coach scénique, Julie Dossavi entame : « Il vous manque le contact au public, le regard. J’ai vu trois personnages distincts qui ne communiquent pas vraiment. J’ai pensé à des exercices corporels qui vous seront utiles. Il faudra qu’on travaille sur la façon d’habiter vos morceaux. » La professeure de chant enchaîne : « On va continuer à travailler la maîtrise de la voix pour que l’interprétation rende mieux justice aux messages des textes. » Le troisième intervenant, Stéphane Bellity, pose diverses questions techniques sur le fait de travailler sans ampli, avec des écouteurs « qui vous isolent ». Il suggère de réorganiser la scène pour surélever le batteur et donner plus de cohérence à l’ensemble. Il demande aux musiciens « d’injecter un peu d’amplification pour donner du volume et de la puissance ». « On va explorer cette idée, tester différentes configurations », assure Patrick Miranda.
Auteur, interprète et batteur, Stéphane Bellity a notamment accompagné de nombreux chanteurs et groupes lors de tournées, ainsi que au Chantier des Francofolies, le programme qui inspire la Francos-Fabrik. En 25 ans à La Rochelle, le Chantier a vu passer des artistes comme Pomme, Christine & The Queens, Hoshi, Thérapie Taxi, Feu! Chatterton, Malik Djoudi ou Zaho de Sagazan. Rompu à l’exercice de la scène, Bellity puise dans ses multiples expériences pour trouver des réponses aux doutes et aux questionnements des groupes. « Je ne me positionne pas comme un prof qui appliquerait des recettes. Je me considère comme un miroir actif, pour apporter un conseil bienveillant, comme quand on relit un message pour un ami avant qu’il l’envoie, pour être sûr que les termes sont bien choisis », dit-il. « La plupart des festivals se concentre sur des programmations d’artistes confirmés. Le travail de repérage et d’accompagnement que nous faisons se préoccupe de la relève pour les années futures », insiste le directeur des Francofolies locales. Après une première année où Maz et Bartleby Delicate ont bénéficié des conseils et du travail avec les « contributeurs » pendant un week-end, cette deuxième édition de la Francos-Fabrik s’étale sur une petite semaine. Environ vingt candidatures ont été déposées. Le directeur détaille les critères de sélection : « Nous nous intéressons à des profils qui ont déjà une certaine expérience de la scène et qui ont un entourage professionnel. Vidéos de leurs concerts à l’appui, nous les choisissons pour leur potentiel car il ne s’agit pas seulement de les coacher, ils vont jouer sur la scène des Francofolies. » Ces groupes bénéficient aussi d’une visibilité auprès du réseau des sept festivals francophones à travers le monde qui pourront potentiellement les programmer.
C’est bien ce qu’espère The X, l’autre groupe sélectionné pour cette Francos-Fabrik. Ce duo électro-pop est musicalement très éloigné de Pleasing, ce qui prouve que la sélection n’est pas liée à un style musical spécifique. Le guitariste Yacko Stein et la chanteuse Sarah Kertz n’en sont pas à leur galop d’essai. Lui a participé à plusieurs formations plutôt dans l’univers du metal alors qu’elle était plutôt orientée jazz. Leur rencontre les a poussé vers d’autres horizons. Des reprises à la sauce acoustique de morceaux qui ont marqué l’histoire de la pop et du rock, avec la formation Silk & Sonic d’abord. Des sonorités des années 1980 et 1990, avec ce que cela comporte de rythmes dansants, d’univers psychédéliques et de paroles légères avec The X, ensuite. On les a découvert avec une reprise de Running up that hill de Kate Bush, titre qui vit une deuxième jeunesse à la faveur de la série Stranger Things. « L’importance de travailler avec une équipe professionnelle est pour nous une évidence. Recevoir un feedback constructif et un suivi nous permettra d’améliorer nos prestations scéniques, notamment dans l’interaction avec le public », supposent-ils. Ils cherchent ainsi les conseils venus « d’un œil et une oreille extérieurs ».
Mardi après-midi, The X a joué un set de 45 minutes avec des chansons déjà rodées, mais aussi des nouveaux titres qui feront partie de leur album Some beautiful things come from dark places qui sortira cet été. Leur concert est conçu comme une performance globale, avec une scénographie travaillée, des interludes entre les chansons, de la danse, ce que n’ont pas manqué de remarquer les trois intervenants lors de leur débriefing. « On voit que vous avez beaucoup réfléchi et travaillé la scène. Peut-être un peu trop, on vous perd avec ces écrans, ces machines, ces mannequins », commence Julie Dossavi. La chorégraphe voudrait leur apprendre à se contenir pour donner plus d’intensité à leurs gestes. La professeure de chant note : « Vous oscillez entre du pop, des moments plus rock et des moments plus dance. Ce serait intéressant de pousser le curseur plus loin dans chacun de ces styles pour que ça raconte quelque chose ». Même son de cloche de la part du musicien Stéphane Bellity : « Il faudrait être plus affirmés, plus dynamiques pour embarquer le public. Vous pourriez concevoir votre concert comme un set de DJ, avec des montées de rythmes, puis des moments plus calmes ». Des phrases qui rassurent le duo. « Vous posez les mêmes questions que celles qui nous travaillent. Cela conforte nos idées pour nous améliorer », sourit Yacko Stein. En remontant sur scène dès le lendemain, The X se promet de tester d’autres configurations scéniques et de travailler la set list. « On y avait pensé, mais on n’osait pas. »