Les jeunes, surtout dans la tranche quinze-24 ans, ont incontestablement la fibre écologique. Certains brûlent sans doute de suivre l’exemple de Greta Thunberg, désignée « Personne de l’année 2019 » par le magazine américain Time. Mais la question se pose de longue date de savoir si ces attitudes favorables à la protection de l’environnement se traduisent dans les faits, c’est-à-dire si les jeunes se comportent et surtout consomment en accord avec leurs convictions. L’enjeu n’est pas mince, compte tenu des milliards d’euros que les entreprises de tous les secteurs consacrent à « verdir » leurs produits et leurs services pour coller aux nouvelles attentes.
Plusieurs études récentes se sont penchées sur la question. Elles vont toutes dans le même sens : les jeunes peinent à avoir un comportement de consommation conforme à leurs valeurs, et sur certains points ne marquent pas de grandes différences avec leurs aînés. Dans un article académique publié en avril 20181, intitulé sans détour « Me first, then the environment : young millennials as green consumers », deux universitaires américains, Iman Naderi et Eric Van Steenburg, ont montré que la rationalité économique jouait toujours un rôle majeur dans les choix de consommation des jeunes. Selon eux, les millenials comprennent les conséquences environnementales de leurs actions et ont l’éducation, la motivation et la conscience sociale pour participer au mouvement vert. Cependant, « ils n’ont pas vraiment commencé à intégrer pleinement leurs croyances et leurs actions ».
Dans un premier temps, les chercheurs ont recensé un grand nombre d’études qui, depuis le début des années 2000, montrent les écarts entre les discours et la réalité. Ainsi en 2003, alors que 69 pour cent des jeunes déclaraient un intérêt sincère pour la défense de l’environnement, ils n’étaient que 33 pour cent à se prêter à des actions de recyclage systématique des déchets, contre 51 pour cent des adultes. En 2013, une étude montrait qu’ils étaient loin derrière le reste de la population sur des actions environnementales simples comme réduire la consommation d’eau pour les usages quotidiens et débrancher ou mettre hors tension des appareils électroniques non utilisés. Différents travaux ont montré que les jeunes consommateurs, valorisent comme leurs aînés l’accessibilité, le prix et la qualité, tandis que les « produits verts » sont souvent associés à des inconvénients d’usage, des coûts élevés et une moindre performance.
Après avoir déduit de leur compilation que certains facteurs permettaient de prédire un « comportement vert » chez les millenials, ils ont cherché dans un second temps, au moyen d’une étude sur le terrain, à tester quatre caractéristiques importantes de cette génération : l’altruisme, la frugalité, l’orientation vers le futur et l’aversion au risque environnemental. Pourquoi ce choix ? Plusieurs travaux ont démontré l’effet significatif d’une orientation vers les autres, à titre individuel ou collectif (altruisme de groupe) sur les actions pro-environnementales. La recherche de frugalité est à l’évidence un comportement écologique, car elle désigne un mode de consommation « faisant une utilisation prudente des ressources et évitant le gaspillage ». « L’orientation future » est définie comme la mesure dans laquelle un individu pense à l’avenir, anticipe les conséquences futures de ses actes et planifie avant d’agir. Il est probable que les personnes tournées vers l’avenir sont plus susceptibles de comportements pro-environnementaux dont les effets se font surtout sentir à long terme. Enfin, des recherches antérieures montrent que plus les individus perçoivent des risques potentiels liés à l’environnement, plus ils sont motivés à adopter des « comportements verts ». De ce fait une forte aversion au risque est a priori un bon prédicteur d’une consommation écologique.
Le travail a été réalisé en 2017 sur un échantillon de 276 étudiants de l’université du Montana à Bozeman (un établissement public) âgés de 18 à 30 ans et entrant donc dans la catégorie des « jeunes millenials », qui ont dû remplir plusieurs questionnaires détaillés. Sur les quatre variables testées, l’altruisme et l’aversion au risque ne jouent aucun rôle pour prédisposer à une consommation écologique. En revanche l’orientation des jeunes vers le futur les rend bien attentifs aux conséquences de leurs manières de consommer. La frugalité apparaît aussi comme une importante motivation, mais il s’agit surtout pour les jeunes, dont les ressources financières sont limitées, de faire des économies en achetant une ampoule LED ou un pommeau de douche qui réduit la consommation d’eau, plutôt que protéger l’environnement.
Naderi et Van Steenburg considèrent finalement que « les motifs rationnels et auto-orientés sont les plus importants pour prédire l’engagement des jeunes millenials à agir en faveur de l’environnement ». Une conclusion conforme aux recherches antérieures montrant que les contraintes financières subies par la génération Y d’une part, et que des motifs personnels tels que l’image de soi, la recherche de statut et le besoin d’admiration d’autre part, motivent de manière significative les actions pro-environnement chez des jeunes. Pour les auteurs, un comportement de consommation écologique ne peut apparaître que s’il va dans le sens de l’intérêt personnel des gens sur le plan économique et psycho-sociologique. Ils en déduisent un certain nombre de recommandations pour les entreprises afin de mieux inciter les jeunes à « passer aux actes » en termes de consommation.
Une étude publiée en France fin décembre 2019 par le Crédoc2, un organisme de recherche réputé, va dans le même sens en concluant qu’en matière d’environnement, les jeunes ont de fortes inquiétudes mais leurs comportements restent consuméristes. Chez les jeunes adultes (18-trente ans) l’environnement est devenu un enjeu majeur qui se classe en tête des préoccupations (32 pour cent des réponses) devant l’immigration (19 pour cent) et le chômage (17 pour cent). C’est la proportion la plus élevée depuis 40 ans. Elle se traduit par une progression de leur engagement sous forme de participation à des associations ou à des manifestations.
Mais dans le même temps, les plus jeunes (de 18 à 24 ans) restent des consommateurs hédonistes, attirés par les produits innovants, surtout en matière technologique et par l’« achat malin », lors des soldes par exemple. Ils ne se situent pas vraiment en rupture vis-à-vis du modèle de société consumériste dans lequel ils ont grandi et vivent aujourd’hui. Vingt pour cent avouent que consommer est avant tout un plaisir, c’est huit points de plus que la moyenne de la population. De plus, à l’heure où émerge une forte prise de conscience de l’impact écologique du transport aérien, les jeunes n’ont pas encore commencé à faire des compromis avec leur désir de voyages : 28 pour cent des 18-24 ans déclarent avoir pris l’avion deux fois ou plus au cours des douze derniers mois, soit neuf points au-dessus de la moyenne. Au quotidien, ils sont moins nombreux à trier leurs déchets (64 pour cent contre 80 en moyenne) à acheter des légumes de saison ou locaux (44 pour cent contre 64) ainsi que des produits ayant moins d’impact sur l’environnement. Ils limitent également moins souvent leur consommation de viande et réduisent moins leur consommation d’électricité (39 pour cent chez les quinze-17 ans contre 54 pour cent en moyenne).
Le Crédoc indique que ses comportements se constatent aussi dans la plupart des pays européens et sont pour partie liés au fait que les jeunes deviennent autonomes plus tard. Ainsi en France l’âge moyen de « décohabitation » avec les parents est de 23,7 ans contre 18,5 ans en Suède où les pratiques de la jeunesse en faveur de l’environnement sont devenus un modèle pour le reste du monde. Les jeunes ont des habitudes plus écologiques que leurs aînés dans deux domaines seulement. Au quotidien, ils privilégient la marche, la bicyclette, les transports en commun et le covoiturage. Et ils montrent un intérêt fort pour les alternatives à l’achat neuf (achat d’occasion, location, emprunt, revente, troc, etc.). Là aussi le Crédoc émet un certain nombre de préconisations, allant au-delà de la sensibilisation entreprise jusqu’à aujourd’hui, car bien que désormais très forte, elle n’a pas permis de modifier suffisamment les comportements.
Les adultes aussi
Dans un article publié l’été dernier dans la prestigieuse Harvard Business Review3, on peut lire que « les entreprises qui introduisent des offres durables sont confrontées à un paradoxe frustrant : la plupart des consommateurs font état d’attitudes positives à l’égard des produits et services respectueux de l’environnement, mais ils semblent peu disposés à les payer ». Les auteurs citent une enquête récente où 65 pour cent des sondés ont déclaré vouloir acheter des marques axées sur les objectifs qui prônent la durabilité, mais où seulement 26 pour cent seulement le font.
En examinant les recherches en marketing, en économie et en psychologie, ils identifient cinq manières par lesquelles les entreprises pourraient amener les consommateurs à mieux « aligner leurs comportements avec leurs préférences déclarées ». Ils recommandent notamment « d’utiliser l’influence sociale », car « le désir des gens de se conformer au comportement des autres - et aux habitudes qu’ils développent au fil du temps - influence la probabilité de consommer des offres durables ». On sait par exemple que le meilleur prédicteur de la vente de panneaux solaires à un particulier est que le voisinage en soit déjà équipé. Afficher ouvertement un comportement vertueux est aussi très efficace : une incitation à couper les moteurs des voitures au moment d’aller chercher les enfants devant les écoles a permis de réduire de 73 pour cent les émissions dès que certains parents ont apposé un petit panneau avec l’inscription « For our air : I turn my engine off when parked ». gc