Durant la seconde moitié du XXe siècle, les pays d’Afrique subsaharienne ont connu des performances en matière de développement très inégales, mais largement en-deçà de la moyenne des autres pays en développement. Le taux de croissance moyen des pays d’Afrique subsaharienne ont ainsi, en moyenne, baissé de un pour cent par an entre le début des années 1980 et la fin des années 1990. On parle d’ailleurs des « deux décennies perdues » en référence à cette période. Et ce constat flagrant se retrouve malheureusement dans la plupart des autres indicateurs de développement, tels que la mortalité infantile, le taux d’alphabétisation, le niveau d’éducation, entre autres, où les pays d’Afrique subsaharienne occupent de manière systématique les fins de classement.
Pourtant, durant les années 1960, période des indépendances de la plupart des pays colonisés, une ambiance d’optimisme généralisé régnait. Les institutions internationales, telles que la Banque mondiale, n’hésitaient pas à faire d’ambitieuses projections de croissance pour les pays d’Afrique subsaharienne, comparables à celles établies pour l’Asie. Pourtant, il n’en a rien été. Durant les années 1980, toute une série de pays d’Afrique subsaharienne ont même vu leurs économies se contracter, menant aux écarts de développement que nous connaissons aujourd’hui.
Beaucoup d’explications ont été proposées afin de comprendre cette disparité de croissance. Ainsi, de mauvaises politiques budgétaires, commerciales et de taux de change, le mauvais fonctionnement des marchés, des lacunes en matière de gouvernance et de démocratie ont été avancées. Au-delà de ces politiques menées, d’autres facteurs, plus structurels, sont généralement cités : la mauvaise distribution de l’aide extérieure au développement, le manque de diversification des exportations, la grande fragmentation ethnique, facteur de tensions et de conflits, la nature enclavée de beaucoup de pays, limitant les possibilités de commerce maritime, en sont quelques illustrations.
Une autre cause possible, qui jusqu’à récemment n’avait pas fait l’objet d’une quantification sérieuse, est le changement tendanciel de certains facteurs climatiques, en particulier les précipitations, observables à partir des années 1960-70 en Afrique subsaharienne. Les graves sécheresses au cours des dernières décennies du XXe siècle, accompagnées de dramatiques famines, ne sont que la partie visible d’un déclin tendanciel des précipitations dans les zones subtropicales. Selon les climatologues, cette baisse s’inscrit dans les longs cycles que connaissent les facteurs climatiques, et n’est donc pas (nécessairement) d’ordre anthropogénique. Toutefois, cette diminution tendancielle des précipitations a pu avoir des conséquences potentiellement importantes sur les pays d’Afrique subsaharienne, et ce pour différentes raisons.
La part de l’agriculture dans l’économie formelle des pays d’Afrique subsaharienne a sensiblement baissé, passant d’environ quarante pour cent du PIB dans les années 1960, à moins de trente pour cent de nos jours, mais reste importante. De plus, la proportion de terres arables irriguées demeure largement inférieure au reste des pays en développement (moins de dix pour cent en Afrique subsaharienne contre près de vingt pour cent dans les autres pays en développement). Cette situation se trouve encore aggravée par la faiblesse des eaux de ruissellements des régions tropicales et des grands bassins fluviaux vers les zones arides et semi-arides. Cette faiblesse s’explique par l’absorption importante d’humidité des sols d’une part, et des températures moyennes élevées au cours de l’année, d’autre part. De plus, l’air chaud peut se charger d’un taux de vapeur d’eau plus élevé, humidité qui est soustraite aux sols, renforçant du même coup la désertification. La réduction du potentiel de productivité végétative a ainsi baissé de 25 pour cent pour près d’un quart de la superficie de l’Afrique.
Au-delà de la vulnérabilité de l’agriculture à la baisse des précipitations, la dépendance importante à l’énergie hydraulique de beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne a exacerbé l’assujettissement de ces pays face à la variabilité climatique. Selon les chiffres officiels de l’Agence internationale pour l’énergie, l’énergie hydraulique représentait à peu près la moitié de l’énergie totale générée en Afrique subsaharienne durant les années 2000 (contre un tiers pour les autres pays en développement). Ce qui aurait dû être un atout en ces périodes de prise de conscience face au changement climatique, s’est transformé en un fardeau face aux aléas des facteurs climatiques.
La baisse tendancielle des précipitations a eu pour effet de baisser le niveau des eaux dans les barrages de retenue, et par conséquent, la production d’énergie. Ainsi, par exemple, le barrage de Kariba, qui alimente en électricité la Zambie et le Zimba-bwe, a subi une baisse d’un tiers de sa production due à la baisse du niveau de son barrage de rétention, suite aux baisses de précipitations. De surcroît, les eaux de précipitations étant aussi utilisées comme liquide de refroidissement dans les centrales thermiques, le manque de précipitations a encore aggravé l’insuffisance de sources d’énergies. Sachant que l’accès à l’énergie est un intrant essentiel au développement économique, une insuffisance ou même, dans une moindre mesure, une fourniture aléatoire en électricité, a certainement très fortement découragé des investissements productifs.
Partant de ce constat, une étude récente2 suggère que si les précipitations étaient restées à un niveau comparable à celui de la première moitié du XXe siècle, l’écart actuel du PIB par habitant entre les pays d’Afrique subsaharienne et les autres pays en développement aurait été de quinze à quarante pour cent inférieur à celui observable de nos jours, et ceci en négligeant tous les autres facteurs explicatifs. En d’autres termes, on peut supposer qu’il s’agit là d’une borne inférieure.
De plus, au-delà des effets économiques, les conditions climatiques adverses ont engendré un certain nombre de problèmes d’ordre social et politique. Ainsi, la baisse des précipitations, couplée aux pressions démographiques, a attisé les tensions entre pays ou groupes ethniques, sur fond de conflits pour l’accès à la ressource rare que constitue l’eau. Des conflits d’origine climatique ne sont pas nouveaux, mais risquent de se multiplier et de s’exacerber, et entraîner dans leur foulée des migrations climatiques massives, facteurs d’instabilité politique.
La difficulté d’influencer les facteurs climatiques pourraient inciter à verser dans « l’Afro-pessimisme ». Or, au contraire, cette analyse appelle à envisager le développement de l’Afrique subsaharienne, outre une meilleure gouvernance, par une réduction de sa dépendance face aux facteurs externes, notamment le climat. Des investissements dans des systèmes d’irrigation efficace peuvent constituer une réponse à ce titre. Il est intéressant de noter que la coopération luxembourgeoise, ainsi que ses partenaires africains, ont, dans leurs stratégies sectorielles, mis en bonne place l’environnement et le changement climatique. L’objectif étant d’une part de soutenir le transfert et l’adoption de technologies de dernière génération dans les pays partenaires, mais d’autre part également de s’affranchir de la dépendance aux aléas climatiques, qu’ils soient d’origine anthropogénique ou non.
Enfin, de manière générale, cette expérience assez dramatique de changement d’un facteur climatique tel que l’ont connu les pays d’Afrique subsaharienne au cours de la seconde moitié du XXe siècle permet également de mieux comprendre et d’appréhender les conséquences d’un changement climatique d’origine anthropogénique prédit par les scientifiques, suite aux émissions de gaz à effet de serre.