Quand la porte du café s’ouvre, un jeune homme, approchant sa trentaine, apparaît sur le seuil, les écouteurs vissés sur les oreilles, le look relâché. Pas du tout l’idée reçue d’un relieur de livres ! Ne cultive-t-on pas plutôt l’image d’une personne âgée, retranchée dans son atelier traitant des livres anciens du matin au soir ? La reliure, n’est-elle pas un métier démodé, surtout à notre époque, l’apogée de la société de l’information ? Et non...
Visiblement, la « génération Internet » n’a pas encore annihilé toute passion pour le livre tangible et traditionnel parmi les digital natives. Grégory Gobillot, un jeune artisan-relieur parisien, émigré au Luxembourg, en est la preuve vivante. « C’est vrai que la reliure a une connotation ancienne, sourit-il, j’essaye de changer cette image. Le but, c’est de rajeunir la clientèle et de toucher tout le monde avec mes créations ». Et de continuer : « Bien sûr que l’évolution d’Internet a un impact sur le métier de relieur et sur le livre en soi, mais cela ne me fait pas peur. Au contraire, cela me motive, c’est une chance, car le livre devient rare, plus recherché et plus cher. Mon objectif, c’est de rester sur quelque chose qui est bien fait, c’est-à-dire dans la matière de luxe français, car la qualité se perd de plus en plus. Je reste toujours gagnant ».
Impossible de ne pas se laisser emporter par l’enthousiasme et l’attitude imbue que le jeune artiste déploie en parlant de son métier : « Ma situation n’est certes pas facile, car pour l’instant, je ne peux pas investir. Mon site Internet est très visité, mais cela n’a malheureusement pas de retombées sans boutique réelle. C’est difficile de se faire connaître au début, surtout au Luxembourg, où le marché de la reliure est sous-traité à l’étranger. Comme artisan indépendant, je suis trop cher. Les tarifs sont très importants à cause des prix de la matière première, des machines etc. Heureusement que j’ai gardé des clients à Paris. Au grand-duché, ça démarre petit à petit, j’ai la chance de pouvoir exposer quelques œuvres dans une boutique à Howald, qui sert de point de rencontre. Hier, j’ai eu un vernissage avec un autre artiste. Je garde confiance, il ne faut jamais avoir des doutes ».
Ayant suivi un parcours scolaire classique en France, Grégory Gobillot a remarqué très vite qu’il n’était pas à sa place. Sa destinée se trouvait ailleurs. « Je trouvais cela un peu inutile et je me suis donc redirigé sur un parcours professionnel. Comme j’adore les livres et la lecture, j’ai entamé l’École publique de reliure à Paris. J’ai d’abord passé mon Certificat d’aptitude professionnelle (CAP), puis mon BMA qui est un brevet pour les métiers d’arts au niveau bac ».
Comment peut-on imaginer le parcours dans une école de reliure ? « On vous apprend surtout les différentes étapes de fabrication. C’est très utile car dans mon métier je veux pouvoir tout faire du début à la fin. Je ne pourrais jamais travailler pour de grosses structures qui vous font bosser dans une seule étape. Je veux rester dans le côté artisanal et non semi-industriel, cela ne fait que freiner votre carrière. J’ai aussi dû prendre des cours d’histoire du livre, car chaque période et chaque pays a ses propres caractéristiques. Souvent, j’adapte le décor aux thèmes du livre. C’est grâce aux sujets et aux époques que ma création surgit. Ma prochaine création sera un livre en feuilles de banane. Cela reflète les coulisses de l’intrigue qui se déroule en République dominicaine. Bien sûr, je n’oublie jamais le côté artistique et des fois, je laisse libre cours à mon imagination. »
Comment découvre-t-on cette passion plutôt atypique ? « J’adore les livres et j’ai toujours eu l’esprit créatif. J’ai combiné les deux, c’est parfait ». Le grand rêve pour l’avenir ? « C’est d’avoir une boutique quelque part dans le monde. Je veux surtout encore aller voir à l’étranger. J’ai de l’ambition, je veux créer des reliures internationales, faire des mixtes, des échanges etc. Cela manque beaucoup sur le marché. Le but ultime par contre, c’est de toucher l’Asie. C’est ça aussi l’avantage d’un artiste indépendant, on est libre et on se laisse porter par ses idées. Je pense qu’il n’existe rien de mieux au monde. »