Déclenchée par la nostalgie et la néoténie d’une génération qui doute de son avenir économique et social, la France vit une renaissance de la guimauve. Dans un contexte historique pareil, elle était inévitable. Car la sucrerie spongiforme adorée des enfants et rehaussée, dans le temps, à l’eau de rose, fait à tel point Vieille France qu’elle est devenue synonyme de mièvrerie, de kitsch rose et moelleux, de caries Biedermeier et de saint-sulpisme laïque.
Nous devons l’apparition de guimauves dans l’une ou l’autre confiserie luxembourgeoise à cette renaissance en France, bien que les guimauves n’aient jamais fait partie du folklore local. Même des professionnels, comme le boulanger-pâtissier du coin, risquent de confondre les petits cubes blancs ou roses saupoudrés de sucre avec le « speck » version Haribo.
Contrairement au « speck », la guimauve est produite à partir de la racine mucilagineuse de la guimauve (Althaea officinalis), une plante médicale – « Gimof » en luxembourgeois, « Eibisch » en allemand – qui fut naguère utilisée pour préparer une tisane antitussive, le « Gimoofs[-]téi ». Dans certaines régions du pays, la guimauve sauvage faisait également partie du Krautwësch. Des pastilles blanches contre la toux produites à base de racines d’Althaea officinalis étaient connues sous le nom magnifique de « Pater Gimof », traduction luxembourgeoise de « pâte de guimauve ».
Aujourd’hui, même dans les « guimauves à l’ancienne », vendues à des prix prohibitifs dans les confiseries-bijouteries parisiennes, la racine de guimauve est remplacée – après une hésitation, quand on employa la gomme d’Arabie – par de la vulgaire gélatine. Depuis la maladie de la vache folle, chaque enfant sait que la gélatine est produite à base de peaux, de cartilages et de ligaments de cadavres de vaches ou de porcs.
Feue l’épicerie Wengé vendait des « guimauves à l’ancienne », qu’on peut trouver encore chez Guimauve et Chocolat, une nouvelle petite confiserie située dans le passage du 36, Grand-rue à Luxembourg. Il s’agit toujours de guimauves importées de la capitale mondiale du nougat, Montélimar.
Les guimauves de la chaîne Oberweis sont différentes. Elle sont encore plus sucrées et plus collantes. Au début, les confiseurs Oberweis ont même ajouté des parfums chocolat, noix de cocos et autres horribilités à leurs guimauves. Les clients, qui aiment les guimauves non pour leur goût édulcoré mais pour leur mollesse sensuelle, semblent avoir refusé ces fantaisies et la gamme de parfums a été réduite.
Il ne faut quand-même pas confondre ces guimauves pseudo-anciennes – des simulacres affligeants comme la Cité judiaire ou la salle plénière du parlement – avec les marshmallows américains ou le chamallows français que les boys-scouts grillent autour du feu de camp. Car dès la fin du XIXe sicècle, la guimauve est devenue d’abord un produit artisanal, puis, après la seconde guerre mondiale et la généralisation du fordisme victorieux, un produit industriel grâce à l’extrusion inventée par l’Américain Alex Doumak en 1954.
La distinction entre le marshmallow, proposé au supermarché aux gosses du peuple, et la « guimauve à l’ancienne », vendue dans la confiserie de luxe aux enfants des riches, n’est qu’apparence. Dans les beaux quartiers, les parents ignorent pour la plupart du temps que leurs « guimauves à l’ancienne » sont fabriquées à base de sirop de glucose de blé, de sucre, de sirop de sucre inverti, de gélatine de porc (ou de poisson pour la version kasher ! ), d’amidon de blé, de sirop de sorbitol et de l’un ou l’autre arôme plus ou moins naturel.
Entretemps, la version postmoderne de la guimauve pour nomades précarisés du néo-libéralisme est vendue par la toute jeune société française Dénicheurs and Co. En mélangeant dans l’eau bouillante un sachet de cristaux ressemblant étrangement aux sels de bain et rehaussés aux E441, E120 et E102 (aïe ! ) avec un sachet de sucre, on obtient une pâte qui imite parfaitement non seulement la consistance mais aussi le goût de la colle à papier peint. Elle sera sûrement la friandise préférée des astronautes partis pendant des années à la conquête de planètes lointaines.