Bref, elle a eu trente ans. Comme le héros de la série culte de Kyan Khojandi sur Canal +, qui, dans l’épisode sur la fête de son trentième anniversaire, se rend soudain compte qu’il n’est plus vraiment un djeunz, Sarah Cattani vient de passer ce cap où on tire un premier bilan de sa vie. Et elle n’a pas à avoir honte de ce qu’elle a déjà achevé jusqu’ici : actrice dans Alice underground ou West Side Story de Claude Mangen pour Maskénada, journaliste-présentatrice dans la rédaction magazine de RTL Télé Lëtzebuerg, cheffe de la rubrique culture à la télévision, réalisatrice de documentaires sur des sujets de société, cheville ouvrière du collectif IUEOA et de son magazine éponyme qui militent pour le développement « culturable » (contraction de « culturel » et « durable »), curatrice de quatre expositions Rekult organisées dans des bâtiments désaffectés... L’activiste est une boulimique du travail, une optimiste qui aime les gens. « Ce qui me passionne dans la télévision ? Je crois que c’est avant tout d’aller sur le terrain, à la rencontre des gens, filmer leur vie, et en faire une histoire lors du montage, » raconte-t-elle, déconcertée par le fait que les rôles soient inversés, que l’intervieweuse devienne ici l’interviewée.
Sarah Cattani est, indirectement, une « fille de 2007 ». Lors de cette « deuxième année culturelle » qui se tenait sous le signe du développement durable, elle revenait assez fraîchement de ses études en communication et en médiation culturelle à Metz et débarquait, après des années de stages estivaux à Eldoradio, à la télévision de RTL. Où elle couvrit énormément d’événements culturels dans le cadre de Luxembourg 2007 – et fit, notamment à l’Exit07, centre névralgique des manifestations, ces rencontres qui allaient changer le cours de sa vie, comme Marco Scozzai, Saskia Raux ou Sven Becker. « Nous avons constaté assez vite que nous voulions faire des projets ensemble, se souvient-elle, et nous savions que nous ne voulions pas faire de ‘l’art pour l’art’ ». Le magazine IUEOA en est né, une publication irrégulière en quadrichromie de qualité où se croisent des interventions artistiques et des textes de fond sur des sujets en rapport avec l’écologie surtout, promouvant un mode de vie anti-consumériste, plus conscient des conséquences de ses gestes, le tout dans un design inventif et soigné, entièrement fait par l’équipe de l’association. Sur un tirage de 3 000 exemplaires par numéro, financé par les entrées publicitaires et un peu de sponsoring, plus du double des lecteurs le consultent en-ligne.
« Nos nombreuses discussions m’ont amenée moi aussi à vivre autrement, à prendre conscience des choses, » dit Sarah Cattani, qui, en quelques années, a changé de mode de vie, vendu sa voiture, est devenue végétarienne. Afin de gagner un peu de sous pour financer le magazine, l’association voulait organiser des concerts. Finalement, elle se retrouvait à organiser de grands événements transdisciplinaires, genre récupération artistique d’immeubles en voie de destruction : d’abord une maison privée à Alzingen – où 250 personnes sont venues spontanément – puis le siège du Mouvement écologique au Pfaffenthal, l’ancienne quincaillerie Buchholtz à Esch et le centre Hamilius (avec le Casino Luxembourg) devinrent, le temps d’un week-end, le théâtre de joyeux squats artistiques, organisés par des bénévoles engagés, entre expositions, conférences, open bar et concerts. Pourtant, craignant la récupération commerciale ou politique plus que tout, l’expérience Rekult est actuellement en phase de réorientation.
« Je ne suis pas Monica ou Thorunn, » répond Sarah Cattani à la question si l’image qu’elle donne par la télévision, sa célébrité lui pèsent (d’ailleurs, pour mémoire, elle n’a aucun lien de parenté avec Olivier Catani, un t, l’autre présentateur de RTL Télé). Pourtant, la brune aux yeux bruns pleins de malice, le sourire solaire encore rehaussé par un joli grain de beauté juste au-dessus de la lèvre, est loin d’être une anonyme. À la télévision, elle s’attelle à la médiation culturelle, sans craindre la vulgarisation : dans la rubrique .art, elle entrait véritablement dans les œuvres de la collection du Mudam, pour Erausgepikt, le samedi soir, elle présente des œuvres d’art dans l’espace public. Et elle voyage pour la culture : à New York pour l’exposition de Sanja Ivekovic, à Stuttgart pour la rétrospective Michel Majerus, passe parfois aussi derrière la caméra, pour voyager léger. « On peut faire beaucoup de choses, dit-elle. Il ne faut pas toujours d’abord un gros budget. »