Tout a déjà été écrit sur cette relation prolixe entre Claudine Muno et les Luna Boots, Thierry Kinsch en tête. La capacité d’écriture et d’interprétation d’une chanteuse insaisissable, la précision d’un groupe pétri d’authenticité… La première écoute de ce Noctambul, à paraître le 22 mars, s’inscrit en cela dans une forme de tradition qui ne sera pas sans rassurer les fidèles de la première heure. On retrouve ces accords folk, cette pedal steel, ces constructions rythmiques qui ont fait des Luna Boots l’un des piliers du répertoire national. Mais rapidement, l’album s’aventure dans de nouvelles dimensions, évidentes notamment en matière de production. Thierry Kinsch : « Nous avons choisi d’enregistrer au maximum dans un studio professionnel, dans la limite de nos possibilités financières et de la disponibilité des musiciens. Bien que nous soyons encore loin de la situation idéale, nous nous sommes tous impliqués au maximum. Nous avons également pris quelques risques, comme l’utilisation du saxophone qui apporte une couleur différente et nous expose à quelques commentaires. Mais c’est un calcul assumé ».
Nourrie de folk, fascinée par le registre country et sa force narrative, Claudine Muno sautille sur sa chaise à l’évocation d’un contexte musical qui les place, avec la sortie de cet album, au cœur de la tendance : « Je n’ai jamais autant écouté de musique que maintenant ! Quand j’ai vu tous ces barbus arriver dans l’actualité, comme les Fleet Foxes, je suis devenue hystérique ! Je me suis dit qu’il fallait faire cet album vite, très vite, pour ne pas manquer la vague ! » se souvient-elle. Si, pour nombre de groupes, le texte n’est là que pour accompagner l’architecture musicale, il occupe à nouveau, avec Noctambul, une place de choix. Acte conscient ou non, c’est majoritairement en français que Claudine Muno règle ses comptes et en anglais qu’elle laisse transpirer tendresse et ressentiment. Même le luxembourgeois trouve sa place avec le titre Blummen. Choisir, est-ce renoncer ? Claudine Muno : « Je serais bête de m’en priver ! Renoncer à une langue, ce serait comme m’interdire d’utiliser tel ou tel type de guitare. Certains thèmes m’apparaissent en français, d’autres en anglais, cela se fait très naturellement » précise-t-elle.
En matière de réalisation, l’émancipation de Claudine Muno est évidente : « Au départ, je me contentais d’apporter des idées de chansons et Thierry s’occupait des arrangements. Maintenant que je connais plus cette thématique, les choses sont moins simples pour lui (rires). J’émets des propositions avec d’autant plus d’assurance que cela fait maintenant un certain temps que nous travaillons ensemble ». Et Thierry Kinsch de compléter : « Dans la répartition des tâches, il est de ma responsabilité de penser pour le groupe, de représenter les musiciens. Je dois m’assurer que dans les œuvres choisies, chacun y prenne du plaisir. Nous sommes un vrai collectif, soucieux de trouver les meilleurs compromis possibles entre des choix purement artistiques et l’envie de jouer ».
En sept ans de vie commune, ces Luna Boots ont connu une certaine évolution, mais n’ont jamais tenté de véritable révolution. L’ennemi, dès lors, est évident : la lassitude… du public comme des musiciens. Claudine Muno : « Il est clair que sans notre ouverture, par exemple, sur la Belgique (au travers de la signature avec le label Green l.f.ant, ndlr.) nous ne serions peut-être plus là. Il y a même des gens qui nous reprochaient de jouer, d’un concert à l’autre, les mêmes morceaux. Personnellement, même si j’aime bien un groupe, je n’irais pas le voir trop souvent dans l’année… Alors nous confronter à d’autres publics, sortir de notre zone de confort, c’est quelque chose de nécessaire » avancent de concert Thierry Kinsch et Claudine Muno.
Des lignes vocales plus dominantes, un album presque « unplugged » dans les bagages pour reprendre une route rythmée par les compliments. Pourtant, même lorsque le gourou Jean-Louis Foulquier (le fondateur des Francofolies de La Rochelle, passeur historique de la chanson française sur France Inter) avoue une certaine affection pour l’ouvrage luxembourgeois, les musiciens renouvellent leurs réserves. Thierry Kinsch : « On s’est même demandé si l’on n’allait pas être pris pour des fous en expliquant à notre label que nous ne serions disponibles que dans la limite de nos engagements personnels. Mais nous avons rencontré une compréhension telle que nous avançons sans pression ».
Ce qui ne les empêche pas de prendre très au sérieux les échéances à venir, au rang desquelles la présentation de l’album le 17 avril à la Rockhal (Esch/Alzette) et le 21 au Botanique (Bruxelles). Deux occasions de goûter, en live, à ces nouvelles historiettes dont Claudine revendique, pour partie, certains aspects autobiographiques : « Ces coups de gueule, ces élans de passion, il y a forcément beaucoup de moi dedans. Je ne me vois pas inventer un personnage qui me soit totalement étranger, me déguiser au moment de monter sur scène ». Et la figure de proue de s’avouer un coup de cœur dans ces quatorze titres : « The Rifle. C’est un bébé que j’ai chèrement défendu auprès du groupe. J’aime ce côté épique que l’on retrouve dans le folklore américain, le contraste entre cette grande musicalité et des paroles parfois très tristes ».