On peut être lauréat du Concours international Gottfried Silbermann dédié à l’œuvre d’orgue de J.S. Bach et entretenir un commerce permanent avec ce dernier, tout en gravant un disque sans la moindre pièce de celui qui fait figure de référence absolue en la matière. À preuve, Confluences, le nouveau CD de Maurice Clement, organiste-titulaire des Grandes Orgues de la Philharmonie de Luxembourg et du nouvel orgue de la manufacture Thomas (Stavelot) de l’église décanale de Diekirch, sur lequel a été enregistré le présent album.
Restauré et en partie reconstruit qu’il a été à partir de l’orgue Dalstein & Haerpfer (Boulay) de 1870, l’instrument « apte à servir le monde germanique comme l’esprit plus hédoniste des Français, […] convainc par une sonorité à la fois transparente et fusionnelle, raffinée et profonde, l’acoustique généreuse et homogène de l’église de style néo-gothique (avec un temps de réverbération d’environ quatre secondes) offrant les conditions optimales pour l’exécution du répertoire romantique et symphonique » (notice).
Sous le titre de Confluences, le programme que propose Clement entend illustrer, à coup d’hommages qu’ils ont rendus les uns aux autres, l’influence considérable que Wagner a pu exercer sur les compositeurs aussi bien allemands que français au tournant des XIXe-XXe siècles.
Il est plaisant, voire réjouissant, d’entendre la transcription pour orgue par l’interprète du Prélude de Tristan et Isolde à partir d’une version de concert arrangée par le compositeur. Les chromatismes wagnériens trouvent dans les sonorités de l’orgue une patine inédite, un feutre rêveur. L’effet en est tout à fait heureux et curieux.
L’œuvre d’orgue de César Franck est une borne milliaire dans le répertoire de l’instrument roi. La lecture que donne Clement de la Fantaisie en la est d’une extrême sobriété, tout en déployant la puissance et un luxe de couleurs essentiel dans cette musique, tout en cultivant une élégance qui n’exclut pas le dynamisme, et tout en refusant l’excès d’épanchement comme le « rentre-dedans ». Une splendeur de bout en bout.
Composée en guise d’hommage au Liégeois, l’autre Fantaisie de cette gravure est signée Samuel Rousseau, l’un des tout premiers élèves de la classe d’orgue du Pater seraphicus. Entre les deux, les similitudes sont frappantes : même architecture globale, même syntaxe harmonique, même expressivité grave. Comme dans Franck, le jeu de Clement y est dépouillé, sans emphase inutile, remarquablement intériorisé, ressenti au plus profond du texte, jeu dont le compositeur sort comme purifié, élagué, ressuscité.
Admirateur inconditionnel du Maître de Bayreuth, Anton Bruckner est représenté ici par l’Adagio de sa Symphonie n° 7, à la faveur d’une transcription pour orgue du cru de l’interprète. Le soin apporté à l’élaboration, à la construction et à l’écriture de cet arrangement ainsi que la sensibilité à la couleur infligent un démenti cinglant à tous ceux qui dénient à l’orgue la possibilité de restituer des sonorités d’une envergure symphonique. Jouée avec une maîtrise et une probité, avec une imagination et une générosité, mais enfin et surtout avec une ferveur plus spirituelle que virtuose tout à fait convaincantes, la pièce envoûte par une implacable mélancolie.
Enfin, dans les deux pièces de Liszt, Am Grabe Richard Wagners et Funérailles (cette dernière dans un arrangement de l’organiste), Clement a le mérite de trouver le ton naturel et souvent passionné qu’appellent ces pages d’un romantisme exacerbé. De plus, il y fait montre d’un beau sens de l’architecture dans les lignes clairement découpées, les couleurs contrastées de manière on ne peut plus saisissante et les rythmes d’une extrême mobilité.
À tous les coups, l’organiste luxembourgeois tire les bons jeux, ses choix se révèlent judicieux et respectueux des caractères si divers des pièces successives de ce florilège. Il offre aujourd’hui, dans cette gravure, remarquable aussi sur le plan de la prise de son, un récital dont l’intérêt se révèle d’ordre musical autant qu’historique. Enfin, outre son programme passionnant et exigeant, ce récital est d’autant plus captivant qu’il fait entendre un orgue neuf et fascinant. L’atelier stavelotain a fait des prodiges : puissance et noblesse, panache et faste dans les tutti, clarté et subtilité dans les jeux de détail. Gageons que ce disque dépaysant, car loin des sentiers battus, réjouira le mélomane le plus blasé.