L’été dernier, Samuel Achache présentait Sans Tambour au Festival d’Avignon pour y trouver un accueil particulièrement enthousiaste. Une pièce dans laquelle se sculpte une rupture dans le chaos, et la renaissance dans la reconstruction personnelle. La Compagnie La sourde arrive, avec cet ovni entre théâtre et musique dans la grande lignée du travail de Achache, à nous émerveiller des cœurs qu’on brise et qu’on recolle inlassablement. Attaché à une exploration des nœuds qui se constituent quand on joue de théâtre et de musique sur scène, Samuel Achache montre une pièce en succession de tableaux mêlant aberration, abstraction, burlesque et classicisme pour une apothéose scénique.
Élève du Conservatoire national supérieur d’art dramatique Samuel Achache brille rapidement à la mise en scène, récupérant un Molière pour son spectacle musical Le Crocodile trompeur/Didon et Enée, théâtre-opéra d’après Henry Purcell, qu’il met en scène avec Jeanne Candel. Ensuite, les grosses machines à spectacle s’affolent et quand ce n’est pas le Festival d’Avignon qui l’invite (Fugue en 2015), c’est le Festival d’Automne qui s’y met (La Chute de la maison, créé en 2017 et Chewing gum Silence en 2018). Après une balade à la codirection du Théâtre de l’Aquarium, en 2021, Achache fonde « La sourde », sa compagnie qui loge désormais ses projets musico-théâtraux. Né en juin 2022, d’après les Liederkreis Op.39 de Robert Schumann, au Cloître des Carmes dans le cadre du Festival d’Avignon, Sans tambour poursuit sa tournée jusqu’au Grand Théâtre de Luxembourg, pour deux représentations.
Tout commence par l’effondrement. D’abord, une partition musicale déraille et puis, c’est un foyer, au cœur duquel l’une balance à l’autre, « je te quitte », et ainsi, tout fout le camp. Les murs s’écroulent, les choses tombent, le monde avec eux, et avec tout cela, les visages s’éteignent de leur lumière, le langage s’effrite, les lieds de Robert Schumann disjonctent, rien ne va. Sans tambour s’amorce dans un désordre immense. Une grande baraque, déjà en chantier occupe la scène de part en part. On ne lui cache pas sa théâtralité, sa « féérie » si l’on se permet. À jardin, un simulacre de piano droit est suspendu dans les airs, à la manière d’un bon vieux cartoon. Au cœur des trappes et portes laissent entrer et sortir les interprètes jouant avec cette folle configuration. En haut, l’étage avec chambre et salle de douche est plus discret, une zone de poésie incroyable, verra-t-on, suite au solo d’une vive beauté, orchestré par la soprano Agathe Peyrat, trempée sous une pluie d’eau de douche. Tout est configuré pour que le théâtre se fasse et que la musique s’entende, inondant un quotidien on ne peut plus banal sur le papier. Lui, sa paperasse, et sa Renault Scénic, elle et ses rêves d’adolescente désireuse d’aventure. Un monde théâtral à rapprocher de celui du boulevard, ses fausses notes de rythme, son jeu téléphoné, et son humour facile. Des clichés évidemment usés au maximum par le metteur en scène. Pourtant, instantanément tout est déréglé, tout devient fou mais dans le plus joli sens possible, celui du poète, du drôle, du burlesque, de l’intelligente déconne.
Toujours inspiré par le répertoire de la musique classique, Samuel Achache, met en scène certains de ses nombreux complices de longue date pour un spectacle qui lie comme d’habitude musique et théâtre. On est dans la déconstruction en même temps que la construction, et ce à tous les niveaux, du plus cérébral au plus palpable, faisant éclater meubles et objets par ses interprètes. Là-dedans, tout est voué à se faire détruire. Sur scène, cette maison déjà brinquebalante semble trop étriquée tant on l’on ouvre en défonçant ses murs, et donc le décor. La métaphore mentale est aisée, mais dans Sans tambour, il ne s’agit pas que de cela. Pour les comédiennes et les comédiens il s’agit aussi de casser leur propre décor et ce n’est pas anodin. Alors, si c’est un évident défouloir, la technicité du décor (Lisa Navarro) de Sans tambour est exemplaire. Dedans, chacun, à la mesure de sa rage, peut maîtriser cette destruction sans éclabousser le public. Tout a été réalisé pour que l’interprète « bousille » avec grâce et s’en serve dans la dramaturgie, et en même temps, il garde une belle liberté pour se « servir » de cette fragmentation scénographique. Plus que jamais ici, pour ceux en scène, le décor est un outil, un autre personnage à dompter, à comprendre, à connaître… Il est le dixième « être » sur scène et plus encore dans Sans tambour où tout tient – ou tombe – grâce à lui. Du décor se construisent, s’amorcent, s’ancrent, prennent pour point de départ, les fictions – car il y a bien une multitude d’axes narratif dans cette pièce – qu’on observe. Chacune d’elles soumises à la chute ou l’implosion de la précédente…
Introduite par les affres du comique de caricature dans une dispute autour d’un siphon à réparer, la pièce laisse néanmoins le lyrisme s’attacher tout de suite à l’atmosphère scénique. À la faveur d’un sextette faisant de ses attentions musicales, un complément de jeu aux comédiens, ou tout bonnement délirant musicalement pour nous amuser, ce spectacle de Samuel Achache connaît aussi sa réussite dans l’excellence du trio amoureux que forment Lionel Dray, Léo-antonin Lutinier et Sarah Le Picard, qui exultent dans leur promenade théâtrale rebondissant dans les genres, et soigneusement mise en scène, n’oubliant aucunes émotions pour conquérir notre œil et notre esprit.