En février 2020, nous commentions un 3 du Trois titré « danse et identités », et pendant lequel s’installaient les travaux de Valerie Reding et Jill Crovisier, deux artistes incontournables. La seconde était à retrouver sur scène, exactemùent trois ans plus tard. Pour cette édition, le Trois-CL signe « l’urgence poétique » et associe, le travail en cours de la chorégraphe et interprète irlandaise Magdalena Hylak, qui montrait avec le musicien Lionel Kasparian leur expérimental A Dance, au quasi fini Léon de Laura Arend, jeune artiste du sillon lorrain, accompagnée pour cette création à deux semaines de sa première, des interprètes Jeremy Alberge, Jill Crovisier, Océane Robin, Esteban Appessesèche, Mathilde Plateau. Par-dessus, en guise d’introduction, l’omniprésent des scènes luxembourgeoises Bohumil Kostohryz et la journaliste Marie-Laure Rolland présentaient leur court-métrage Anne-Mareike Hess : Le corps en état d’urgence, portrait sensible d’une artiste en création, au-prise aux aléas de la pandémie, comme un vif symbole de l’étrange période qu’aura été la saison 2020-2021 et sa suite…
Dès le début, le silence est presque parfait devant le film. Face aux images mettant en scène en douceur et sincérité la magnifique artiste qu’est Anne-Mareike Hess, chacun se souvient et se tait. S’il n’est pas parfait ce film, il est plein de qualités. Ça se voit dès les premiers plans, ce court documentaire vient d’une nécessité, d’un besoin de témoigner, d’abord du processus créatif d’une artiste, puis, de cette situation dramatique qui aura paralysé le monde, et au-dedans, aura fait muter tant de visions artistiques. En fait, ce film, forcé contraint de s’éloigner de son propos originel, prend au cœur un tournant très intéressant. En suivant Anne-Mareike Hess dans cet « avant », puis cet « après », ce qu’on voit c’est la transformation d’une artiste, et ce, d’une façon très intime. Rarement, il est possible de s’incruster aussi près des joies et bonheurs, mais aussi des doutes et fragilités qu’emplissent la périlleuse aventure qu’est la création d’un spectacle, surtout dans ce cadre si particulier. Ici, la proximité des intervenants avec l’artiste, nous permet une forme d’immersion, et une compréhension de l’état dans lequel se trouve un artiste qui créé, qui, tel le parent préoccupé, « enfante », finalement.
Bondé, le foyer de la Bannanefabrik est occupé d’un brouhaha qu’on n’avait pas entendu depuis « l’avant ». C’est beau de voir que le public est revenu. Il aura fallu du temps, mais nous y sommes enfin, dans ce fameux « après ». Du bruit, Magdalena Hylak, et Lionel Kasparian ont décidé d’en faire une musique à leur A Dance, duo entre son et mouvement, où le corps supporte l’un et où le son devient corps… Là, la danseuse irlandaise joue de répétitions insensées qui font tournoyer son corps devenu un outil à la musique, quand le sonoriste badigeonne l’espace de sonorités proches de l’expérience scientifique. On nous a averti en amont, ceux qui possèderaient des appareils auditifs sont priés de les éteindre, c’est dire… Cette forme labo en respecte les codes, montrant une tentative, une recherche symbiotique entre deux artistes de champs artistiques spécifiques, et visiblement très complémentaires. L’avenir leur tend les bras à ces deux-là, qui prospectent à une forme alternative, sans histoire, ni chichis, brute et instructive, telle une expérience partagée entre scène et salle.
Pour finir, dans Léon, à nouveau, le corps chante, sonne, rythme. Chez Laura Arend tout commence par des pas, faisant résonner le sol d’une rythmique symphonique et puis, les corps habités, la pièce peut vêtir des habits plus traditionnels. Démarré, Léon, emprunte aux folklores du conte, des danses traditionnelles, et contemporaines, dans une énergie folle. Six en scène, dont la chorégraphe – toujours le pari risqué de la double position –, chacun guette le bonheur, parti pris chorégraphique. Au détour de l’ingurgitation d’une pomme rose bonbon de sucre, Laura Arend engage sa réflexion sur l’épicurisme : la recherche du plaisir sans ambages. Et autant qu’eux, nous en prenons devant ce qu’on nous donne comme la dernière partie d’un spectacle plus grand qui se jouera en première à Boulogne-sur-mer au Théâtre Monsigny le 17 février. Pourtant, si l’objet est plein de joyeuseté on sent encore un besoin fort de travail. Ils ont pour l’instant bénéficié de seulement quelques jours ensemble pour associer morceaux narratifs, geste chorégraphiques et énergies communes, pour sûr une grande étape les attend dans la finalisation de cette pièce qui pourtant, pétille déjà. Alors, fort d’interprètes au talent indéniable, si le passage choisi convainc, reste à savoir comment Arend va emmener son public vers ce dernier acte. Toute la question est là. Mais qu’on se rassure, la chorégraphe en charge a du plomb dans l’aile, son parcours en témoigne. Quoi qu’il en soit, en attendant de voir l’entièreté au Luxembourg – avis aux programmateurs –, ils vécurent heureux et…