Théâtre

Dans les eaux troubles
des fantasmes

d'Lëtzebuerger Land vom 27.01.2023

La comédie de William Shakespeare Le Songe d’une nuit d’été emmène, à partir du monde réel et assez rigide, dans un univers de rêves, de songes où tout est possible. Elle sert de base à Songes d’une Nuit, vécue par la cour ducale, des jeunes gens, des créatures féeriques ; dans ce spectacle il importe pour Myriam Muller qu’on s’échappe du réel pour se ressourcer. Elle accentue la liberté du théâtre, entremêlant diverses formes, théâtre, danse, acrobatie, chant.

La metteure en scène a l’expérience des pièces shakespaeriennes, notamment avec Mesure pour mesure et Hamlet ; cette fois elle s’attaque, avec son fidèle assistant Antoine Colla et une équipe de comédiens qui sont souvent de la partie à une comédie onirique qui réunit seigneurs, fées et elfes, une troupe d’amateurs et intègre le public pour lui redonner un rôle, l’attirer de nouveau au théâtre et stimuler sa confiance après le confinement, bref l’attirer vers un art extraordinaire et sensibiliser un jeune public avide de spectacles qui sortent des sentiers battus.

La comédie se démarque par le mélange des genres et est un hommage au théâtre qui combine avec adresse diverses approches pour en faire une fête. Les artistes viennent aussi de divers domaines : aux comédiens connus (dont beaucoup assument deux rôles) des créations de Myriam Muller, s’ajoutent d’autres professionnels de diverses disciplines pour se transformer en créatures d’un monde féerique. Le public est invité à l’occasion à se mêler aux comédiens. « Ce songe est également un magnifique prétexte à la fête, à la communion entre la scène et la salle », affirme la metteure en scène.

Dans ce contexte l’ingénieuse scénographie de Christian Klein, concoctée en complicité avec Myriam Muller, recouvre toute l’étendue du Studio. Au milieu, une sorte de piste de danse, réservée en principe aux comédiens qui s’infiltrent aussi parmi les bancs et tables du public, installé en quadrifrontal ; à un bout de la salle un podium (qui sert aussi de bar lors de l’entracte), à l’autre un plan surélevé avec lavabos et surtout des miroirs qui permettent de voir qui est-on ou qui est-on devenu.

Quant à l’intrigue, précisons que l’amour des jeunes gens déclenche les conflits : à Athènes, sur le point d’épouser Hippolyta (Céline Camara), le duc Thésée (Jules Werner) reçoit la visite d’Egée (Olivier Foubert), qui lui confie que sa fille Hermia (Rosalie Maes) refuse d’épouser Demetrius (Pitt Simon), que son père lui a destiné et veut épouser Lysandre (Konstantin Rommelfangen). Pour échapper au diktat du père, les deux jeunes amoureux s’enfuient dans la forêt, rejoints par Helena (Manon Raffaelli), elle aussi éprise de Lysandre, mais détestée de Demetrius.

Dans la profondeur de la nuit ils s’endorment. Surviennent Oberon et Titania, le roi des elfes et la reine des fées, qui se querellent puis se quittent. Apparaissent alors des fées, des elfes, une troupe de comédiens amateurs en répétition ; de drôles de créatures se croisent dans un monde magique, rehaussées par les beaux costumes aux détails significatifs de Sophie Van den Keybus. Le malicieux lutin Puck (Timo Wagner vif, omniprésent), prépare sur ordre d’Obéron, un philtre d’amour magique, qui libère les jeunes gens des règles du monde d’avant et permet à tous de vivre des passions débridées, des rêves fous.

Encadrée par Mme Quince (Catherine Mestoussis, débordant d’énergie), une troupe de théâtre amateur répète Pyrame et Thisbé pour le mariage de Thésée, une mise en abyme, du théâtre dans le théâtre d’inspiration baroque. Une pièce fort mauvaise, qui évoque sur le mode burlesque le sujet de l’amour contrarié, provoque le rire par des inventions saugrenues, ainsi les baisers volés des amoureux : un jeu remarquable regroupant Olivier Foubert, Christine Muller, Valéry Plancke et Raoul Schlechter.

Songes d’une Nuit, un monde à l’envers, débridé, avec des métamorphoses hilarantes, où règnent la folie, les fantasmes, une fête de tous les possibles, une fête du théâtre, mise en valeur par de beaux jeux de lumières signés Renaud Ceulemans, réunissant intermèdes dansés, chantés, filmés, du mapping, un ensemble à couper le souffle. Le vieux monde est balayé, remplacé par une imagination débordante, avec la participation de tous.

La comédie débridée se double d’une saveur parodique et satirique. Les fantasmes aident sans doute à affronter les aspérités du monde réel. On se demande d’ailleurs si l’amour heureux est possible sans enchantement, rêves et fantasmes. En ce sens la comédie est aussi une méditation sur le pouvoir du rêve et de l’imagination face à l’arbitraire des lois. On peut se demander si le retour à la vie permet aux jeunes, à leur réveil, une libération des passions, un amour plus équilibré.

Songes d’une Nuit d’après William Shakespeare, dans une mise en scène de Myriam Muller, est une belle aventure théâtrale à déguster pleinement.

La pièce est à voir au Studio du Grand Théâtre, les 27 et 28 janvier à 20 h ainsi que le 29 janvier à 17 h. Introduction par Ian de Toffoli une demi-heure avant chaque représentation

Josée Zeimes
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