Franc succès au Grand Théâtre de Luxembourg pour le best-seller du FC Bergman, le collectif belge célèbre pour sa vision narrative unique, façonnée comme une délicate et captivante immersion spectaculaire. Rien de plus normal, 300 el x 50 el x 30 el n’a plus à faire ses preuves, voilà plus de dix que ça tourne, le monde entier, ou presque, l’a vu et rares sont ceux qui le regrettent. Dans cette pièce, une poignée d’habitants d’un village de cabanes, lutte contre la peur d’une inondation prochaine et se débat de ses angoisses au fil d’une succession de phases des plus délirantes les unes que les autres, comme, si outre la pluie, c’était la folie qui leur tombait sur la tête. Reflet du conte biblique de l’Arche de Noé, donnant les dimensions du bateau dans le titre, avec 300 el x 50 el x 30 el, le FC Bergman signe un spectacle hors normes, gifle parmi les gifles du théâtre contemporain.
Le FC Bergman a le vent en poupe depuis sa création en 2008 par six artistes issus d’une formation théâtrale à Anvers, aux carrures artistiques différentes : Stef Aerts, Joé Agemans, Bart Hollanders, Matteo Simoni, Thomas Verstraeten et Marie Vinck. En 2011, ils montent 300 el x 50 el x 30 el, et en 2013, rejoignent les artistes associés de la Toneelhuis d’Anvers, avant de nombreuses autres aventures scéniques. Aujourd’hui, on ne compte plus leurs coups d’éclat – spectacles de théâtre musical, d’atmosphère, visuel, hors les murs, ou toutes autres collaborations artistiques posées à la télévision ou au cinéma – sortis de l’esprit ingénieux de ce groupe de comédiens à la signature stylistique qui ne laisse pas insensible. Fort de ce parcours sans tâches, c’est à la faveur d’un théâtre du désordre provoquant les métaphores, d’une impertinence évocatrice des maux courants, souvent élevé par un mutisme d’une poésie folle, que le FC Bergman a hissé au-devant de la scène des débats puissants et provoc’.
Dans cette veine, 300 el x 50 el x 30 el, est devenue un vibrant symbole de leurs aspirations artistiques. Son succès n’est clairement pas volé tant la pièce nous provoque par des images qui évidemment touchent, parfois dérangent, et toujours poussent à la réflexion. Ce spectacle, sorte de remake du récit du déluge de la Genèse, pousse dans ses retranchements la réappropriation et réutilisation du spirituel, usant d’iconographies et de bannières religieuses pour « fritter » son spectateur par des images viscéralement sensibles. Tout débute par le départ d’un vieil homme. La sagesse évanouie au sein de la petite communauté, vlan ! Tout fout le camp ! Dans cette histoire, on observe la déchéance d’un minuscule village, dans lequel vivent des familles trop proches les unes des autres, s’influençant dans la crainte, jusqu’à vriller dans une démence malaisante…
Sous ce spectre, ce que nous présente le FC Bergman n’est en fin de compte qu’une nouvelle vision de l’apocalypse et son impossible appréhension par l’humain. Ce qui est dit par exagération dans cette fresque illuminée c’est l’incapacité de notre monde actuel, déchiré de toutes parts, de se relever sans séquelles des catastrophes. Aussi, à grand coup d’allégories visuelles, soutenues par une juste utilisation d’images projetées au centre du cadre de scène, le FC Bergman dézingue le lieu commun d’une psychose générale alimentée par un fait de société : la fin du monde. Filmé à la Dogville de Lars von Trier, la caméra met au jour l’intérieur des petites baraques et du coup, ce qu’on ne devrait pas y voir. Posée sur rail, la caméra s’engage ainsi dès le début dans une périple, tournant continuellement en rond autour du hameau construit sur scène. Par cet œil, on capte les infimes détails faisant se répandre l’aliénation. Dans ce « bizarre » brillamment esthétisé on suit la digression d’une population qui sombre dans les tréfonds de ses angoisses. Le collectif anversois s’autorise des fulgurances logées autant dans les tableaux de corps et de décors mis en scène, que dans la musique créditée aux immenses Gregory Frateur (en pêcheur/chanteur), et Hannes D’Hoine & Tijs Delbeke, permettant le tour de force de nous libérer par moment de ce surréalisme prédominant dans la pièce. Sous toutes ses dimensions, 300 el x 50 el x 30 el hypnotise son spectateur de fantasque et de virtuosité.
Et pourtant, si cette soirée théâtrale était géniale, on ne sait pas trop comment sceller notre avis. L’univers du FC Bergman déroute au point de s’en émerveiller, d’être fasciné de l’étrangeté de la toile de maître mouvante tendue devant nous, et cela même si celle-ci peut par endroit se vernir d’effrayant, de crade, d’horrifique… Mais, quand bien même, 300 el x 50 el x 30 el renifle parfois trop « l’emprunté ». Car à trop emprunter, ou « utiliser », en somme, une pléthore de références gazeuses et chimériques, la pièce ruisselle dans des débats de prétextes. Et on a un peu l’impression de se faire embobiner. Néanmoins, on y saute dedans volontiers… Car 300 el x 50 el x 30 el n’en reste pas moins une incroyable expérience immersive, même du fin fond de la salle, c’est-à-dire, capable de convaincre même les plus rigides d’entre-nous.