Lors de la saison 2021/22, le collectif Bombyx, s’était emparé de Emma K de l’auteur belge Guiseppe Lonobile, pour en livrer une adaptation luxembourgeoise, dans le fond, avec la traduction de Josée Klincker et l’interprétation par les comédiens luxembourgeois Anne Klein et Adrien Papritz, comme dans la forme, sous les dessins de Nathalie Noé Adam et la direction de sa sœur Pascale, meneuses de la compagnie dudelangeoise au nom de papillon… Suite au succès de leur tournée, de cette version luxembourgeoise, l’équipe en tire une française, pour démultiplier l’avenir de ce spectacle jeune public plutôt réussi, même s’il ne rentrera pas dans le hall of fame de nos coups de cœur de cette saison. Emma K est une belle histoire sous forme de parcours initiatique express, d’apprentissage du libre arbitre, le temps d’un cauchemar, et c’est déjà bien suffisant.
Guiseppe Lonobile est comédien, metteur en scène, formé au Conservatoire de Mons. Au début des années 2000, il fonde la compagnie Atis Théâtre avec Céline Degreef pour développer une direction artistique où l’acteur est au centre attisant sa relation avec le public, pour ainsi, en bref, « entrer en contact avec un corps en vibration et parler de l’Homme ». Les pièces s’enchaînent avant que Lonobile se mette à écrire. Son premier texte Vivarium est joué en 2006. À cette période l’artiste belge cumule un travail d’acteur et de direction artistique, et puis son écriture fait des étincelles, et son texte Comme un insecte se retrouve publié chez Lansman Editeur en 2016. Lonobile se fait connaître plus largement par cette deuxième pièce, un monologue coup de poing, sans ambages, par lequel il amorce son travail de métaphore par l’insecte. Un processus cathartique qu’il emploiera par la suite et bien évidemment dans Emma K, publié en 2018, également chez Lansman…
Tombé sous le charme de la prose de Guiseppe Lonobile, Bombyx – collectif d’artistes du spectacle vivant et des arts plastiques basé au Luxembourg et Marseille – met en scène l’histoire d’Emma K, une pièce que l’auteur a écrite pour sa fille en transition entre deux âges. Emma K, jeune fille de onze ans file avec angoisse vers les douze ans, pour vivre le franc début de son adolescence, avec tout ce que comporte cette nouvelle dimension dans laquelle elle entre. Après une nuit passée le ventre vide, un de ces matins d’anniversaire où le monde semble changé à jamais, Emma est seule, ses parents et son petit frère annoncés « en vacances » par un inspecteur à tête de mouche, ressemblant étrangement à herr Kafka dans la mise en scène du Bombyx… Inspirée du roman Der Prozess de Kafka, Emma K propulse le spectateur jeune ou moins jeune dans une fable aux profondeurs psychiques infinies. Les métaphores fusent, l’anthropomorphisme qu’utilise Lonobile rappelle celui du Roman de Renart, de Lewis Carroll, ou encore de La Fontaine, et l’atmosphère de Bombyx force dans l’obscur, faisant friser le rêve en cauchemar. Et pourquoi pas ?
Car en effet, si Emma K s’adresse à l’adolescent en devenir pour l’aider à affronter les nouvelles épreuves qui se dressent devant lui, c’est aussi un récit puissant sur l’incidence de notre libre arbitre dans la quête de soi et l’expérience de la vie au sens propre. Une direction forcément façonnée par l’angoisse. Ballotée entre des personnages pour la plupart éberlués, intransigeants, ou simplement bornés, la jeune héroïne de cette histoire ne connait que peu de répits tout du long… À l’image des jeunes, traversés par des émotions nouvelles, ébranlés par un corps en transformation… Tout cela s’invite dans Emma K.
Ainsi, la fantasque mouche inspectrice annonce à Emma qu’elle est sous le coup d’une arrestation, et qu’elle doit passer devant un juge. Ce dernier, un pingouin entouré d’une suite d’huissier transformés en rats ricaneurs, eux-mêmes suivis de mouches policières et fouineuses constituent le corps symbolique du monde des adultes, insensés et rébarbatif. Un programme digne d’une blague de mauvais goût, et néanmoins reflet grossi d’une société enlisée, avec sa lente et incapable justice, ses vices et immoralités. On comprend de fait, que de la logique intrinsèque au texte, Bombyx aura été poussé à dépeindre cette pièce sous des traits assombris, voire sinistres. Dans leur Emma K, Pascale Noé Adam et Nathalie Noé Adam, l’une à la mise en scène, l’autre aux dessins « animés », s’emploient à prendre très au sérieux les thématiques exploitées par l’auteur. Aussi, dans cette vision, nous n’avons clairement pas envie de sourire.
Le sérieux comme parti pris, il s’agit pour Emma de comprendre comment construire ses propres idées sur le monde, en identifiant autant que possible le juste, du faux, pour s’émanciper et se libérer. Clairement, une morale essentielle à offrir aux jeunes de nos jours. Aussi, Emma K ne transige pas. Dans le fond, l’œuvre est virtuose et Bombyx s’applique à le faire entendre. Pourtant, dans la forme, c’est un peu plus complexe, car l’infantilisation du personnage que tient Anne Klein pose un contraste très fort avec le propos et gène par moment d’immaturité mal placée. Le dommage s’introduit ici, et se poursuit dans le choix de la sobriété pour le décor, fait de deux écrans sur lesquels glissent les images « animées » rythmant visuellement l’histoire. C’est assez sommaire malheureusement, même si, admettons, cela laisse place à l’imaginaire, montre la solitude d’un enfant tout proche de devenir adulte, et permet également de poser, littéralement, le livre à la scène…
Finalement, Emma K de Bombyx fait son office. À la force d’un texte très bon, le spectacle l’est aussi, et permet aux jeunes adolescents pleins de questions, d’en éluder certaines pour s’en poser d’autres : de l’utilité même du théâtre. Pour autant, ce Emma K ne nous laissera pas un souvenir impérissable, obligés de décrier une forme trop modérée dans son ensemble, quoiqu’à la vue des retours des ado’ au bord plateau, peut-être sommes-nous dorénavant devenus ces mouches voltigeant partout, des Kafka mutés en insectes. Peut-être. Sss, sss, sss, sss…