Plus d'un an après l'installation d'Aleph, tous ceux qui fréquentent la Bibliothèque nationale se félicitent des moyens de recherche documentaire qu'offre le nouveau système informatique du réseau luxembourgeois des bibliothèques. Les améliorations sont indéniables: le grand nombre d'index disponibles offre en effet à tous les utilisateurs, et donc également au lecteur lambda, des possibilités d'interrogation que le système précédent (Sibil) réservait aux professionnels (informaticiens et bibliothécaires). Il s'agit là sans aucun doute d'un pas vers la démocratisation de l'information.
Et tout comme de nouvelles lunettes font apparaître au myope le monde dans une netteté aussi cruelle qu'inattendue, le nouveau système informatique offre une vue bien nouvelle de la BNL. En particulier, il permet de relever aujourd'hui des faiblesses qu'hier encore la prose et la statistique des rapports d'activité annuels du ministère de la culture arrivaient à cacher tant bien que mal.
En effet, grâce aux filtres disponibles, il est désormais possible de se fabriquer chez soi des statistiques beaucoup plus parlantes que celles fournies directement par le ministère. Elles font apparaître que depuis de nombreuses années la politique d'achats de la BNL mérite pour le moins le qualificatif de bizarre. Ainsi les fluctuations en dent de scie dans les statistiques par année de publication et par matière font penser que la politique d'acquisitions de la BNL dans bon nombre de disciplines dépend davantage de l'existence et de la disponibilité d'un bibliothécaire spécialisé (Fachreferent) que de la production scientifique d'une année dans un domaine donné.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'y a pas que les sciences exactes qui pâtissent de l'absence d'une véritable politique d'achat à la BNL. Plusieurs sciences dites humaines, plusieurs domaines de la littérature semblent bien mal servis dans la plus importante bibliothèque scientifique du pays. Pour ne pas faire de jaloux, nous renonçons à donner ici des exemples, mais les lecteurs du Land pourront vérifier eux-mêmes au catalogue si les disciplines qui les intéressent sont bien représentées à la BNL (en mode expert avec les clefs wsl, wyr et cla08).
Faut-il rappeler que les «trous» dans le catalogue Aleph ne sont pas le fait de catalogueurs mal intentionnés ou de tire-au-flanc, mais qu'ils résultent d'une politique du personnel désastreuse appliquée depuis plus de vingt ans à la BNL? Rien ne servirait donc à une direction zélée de brandir le knout pour remédier à la situation. Un personnel scientifique réduit, pris dans une spirale de mutations technologiques, mais aussi obligé de se disperser dans des occupations de cosmétique bibliothéconomique (toujours cette «image de marque» à défendre!) ne pourra pas sous la contrainte fournir plus d'efforts qu'il n'en fournit déjà.
Par contre, au vu de l'image qu'Aleph donne de l'évolution des fonds scientifiques de la BNL, on est en droit de se demander où vont les crédits destinés à l'alimentation de ces fonds. Doit-on ainsi se féliciter de l'achat de rarissima ou d'objets de collection sans rapport avec les missions élémentaires de la BNL (pour mémoire : Luxemburgensia et bibliothèque de recherche) pour épuiser le budget, comme le laisse entendre le rappport d'activité 2000 du ministère de la culture (p. 155), alors que le catalogue renferme tant de lacunes ?
Paradoxalement Aleph, qui (par sa présence sur la toile) ouvre la bibliothèque au monde et qui (par la diversité des modes de recherche offerts) émancipe le lecteur, peut aussi conduire ce dernier au naufrage documentaire. Que ce soit par paresse ou par ignorance des possibilités offertes par le système, les lecteurs se servent le plus souvent de la simple recherche par mots et négligent les index qui permettraient une interrogation plus précise. Résultat: un niveau de «bruit» très élevé dans les recherches - c'est-à-dire un grand nombre d'informations inutiles ou inutilisables, une perte de temps et souvent l'occultation du document vraiment utile.
D'où non seulement la nécessité d'une véritable formation du lecteur à l'instrument informatique, mais encore celle d'une disponibilité accrue du personnel scientifique des bibliothèques et un accompagnement du lecteur dans ses recherches, si celui-ci le désire. Un jeu d'exemples accompagnant le mode d'emploi du système serait le bienvenu.
Dans le cas de la BNL, comme dans celui d'autres bibliothèques du réseau, le pouvoir de séduction du catalogue informatisé fait en outre oublier quelque peu les ouvrages qui ne sont pas encore répertoriés dans Aleph: les deux tiers du fonds des imprimés étrangers, l'essentiel du fonds des imprimés anciens ainsi que le gros des collections spéciales de la Réserve précieuse attendent (et attendront encore longtemps?) leur recatalogage!
On n'insistera donc jamais assez sur l'existence des anciens catalogues, qu'il s'agisse des catalogues imprimés du XIXe siècle, du catalogue manuscrit du fonds des imprimés anciens ou des fichiers des fonds luxembourgeois et étranger constitués à partir de 1927.
Enfin, au niveau du réseau, Aleph renvoie au caractère composite de cet assemblage de bibliothèques luxembourgeoises. Un système informatique aussi pointu convient certainement à des grandes bibliothèques de recherche (BNL, Centre universitaire, Séminaire). Mais l'instrument paraît bien lourd pour une bibliothèque scolaire ou une bibliothèque de lecture publique.
Certes chaque institution peut déterminer dans une certaine mesure la profondeur de catalogage qui conviendra à ses collections et à ses publics, cependant la mise en commun des notices catalographiques, forcément d'une rigueur technique élevée, pose des problèmes qui ne trouveront leur solution que lorsque le réseau Aleph prendra une forme juridique facilitant une réflexion commune de tous ses membres et mettant fin au «centralisme démocratique» pratiqué actuellement par le plus gros poisson de l'étang. Bibliothèque nationale et réseau luxembourgeois - documents catalogués (par année de publication)