« Le taux d’effort augmente, c’est mathématique. Mais on arrive à absorber cette augmentation via un allongement des crédits », explique Yann Gadea, responsable courtage chez AtHome Finance. Entre les acheteurs et leurs bailleurs de fonds, le broker lié à la plateforme d’annonces systémique jouit d’une vue privilégiée sur le marché immobilier résidentiel. Les accords noués chez le courtier se retranscrivent deux ou trois mois après chez le notaire, puis dans les statistiques institutionnelles.
AtHome Finance réalise un millier de transactions sur une « année normale », nous dit Yann Gadea. Or, le nombre de prêts signés via la plateforme de courtage a déjà chuté de moitié en 2022 après un deuxième semestre au ralenti. Le premier avait été « très dynamique ». Puis les taux pratiqués par les banques (face aux taux appliqués par la BCE pour le refinancement bancaire) ont « énormément augmenté et il n’y a pas eu de correction des prix ou de négociation possible avec les vendeurs sur le prix des biens », rapporte le courtier. Si bien que les transactions sont restées au point mort en novembre décembre. Sur les 420 millions d’euros d’emprunts souscrits via AtHome Finance en 2022, 90 pour cent ont servi à acheter de l’ancien.
L’observatoire de l’habitat confirme la nette baisse de la vente du neuf sur le seul troisième trimestre de l’année dernière avec un effondrement de 36,4 pour cent par rapport au troisième trimestre 2021 : seulement 297 ventes. Bien loin des 671 ventes réalisées en moyenne sur la même période (de juillet à septembre) entre 2017 et 2019. Dans les dernières données publiées par l’observatoire, il est aussi question d’une progression de onze pour cent des prix par rapport à 2021, de 2,2 pour cent par rapport au trimestre précédent. L’observatoire trouve une cause contractuelle à cette hausse. Les promoteurs de Vefa (vente en état futur d’achèvement) ont cessé d’inclure une clause d’indexation des prix à la livraison « dans le but de garantir davantage de visibilité pour le client final dans son prix futur ». Du coup, ils ont facturé plus cher dès le début.
Jean-Paul Scheuren, président de la Chambre immobilière, ajoute que les prix ont aussi été artificiellement tirés vers le haut car des unités conçues pour de la Vefa ont été vendues après conception (donc toute neuves et chères) faute de demande. Elles ont ainsi été comptabilisées en tant que ventes de biens existants, faisant donc augmenter la valeur moyenne des transactions. Ce que Julien Licheron (observatoire de l’habitat) admet.
Chez AtHome Finance, on constate la correction des prix avec une négociation possible à la baisse, entre dix et quinze pour cent. Une manière contournée de dire que le prix du mètre carré a chuté du même montant. « Maintenant, les acquéreurs peuvent négocier les biens. C’est exceptionnel à Luxembourg. Douze ans de courtage et je n’avais jamais vu ça. Pour un appartement à Luxembourg-Ville, on avait quinze potentiels acheteurs et il y avait des surenchères », témoigne le courtier d’Athome.
Yann Gadea confie élaborer « des montages » pour que les acquéreurs renégocient leurs prêts quand les taux baisseront. Ils tournent aujourd’hui autour de quatre pour cent. Cette semaine la Banque centrale révèle justement un avant-goût de cette hausse déjà constatée voilà quelques mois chez AtHome avec une évolution à la hausse des taux d’intérêt sur les crédits immobiliers accordés en janvier. Le variable a bondi de quasiment un pour cent en un mois. Il est passé de 2,58 pour cent en décembre à 3,51 pour cent. Sur un an, le taux a progressé de 2,21 pour cent. Le taux fixe n’a progressé que de six points de base à 3,58 pour cent en dessous de dix ans (3,6 au dessus), mais de 216 sur un an !
Le « montage » proposé par Athome consisterait en un contrat prévoyant le rachat du prêt par une nouvelle banque moyennant une pénalité de 10 000 ou 15 000 euros. « Si le taux passe de quatre à trois pour cent, vous gagnez 70 000 ou 80 000 euros » dans la manœuvre, détaille le responsable courtage d’AtHome Finance où l’on travaille essentiellement avec des primo-accédants qui empruntent régulièrement l’intégralité de la valeur du bien. Le courtier présente évidemment une vision optimiste pour que les transactions affluent. Si le client achète avec une décote par rapport aux prix de 2021, et si les taux baissent dans les trois prochaines années et si le marché repart à la hausse, alors l’acheteur va peut être réaliser sa plus-value. Pour « rassurer les clients » inquiets de la hausse d’un taux variable qui grignote une grande part de leur revenu, les taux sont allongés à 36 ou quarante ans. « Si vous faites une acquisition et que vous ne pouvez plus partir en vacances ou acheter une voiture c’est un petit peu problématique », glisse Yann Gadea.
Autre nouveauté sur le marché : les banques « contrôlent vraiment le prix du bien » et elles sont « très très prudentes sur les prêts relais et crédits-ponts ». D’ailleurs, AtHome ne travaille plus principalement avec les établissements de crédit locaux comme BGL, ING ou BIL, partenaires fidèles ces dernières années pour empocher les crédits. Place aux caisses d’épargne logement allemandes. « Elles ont d’autres conditions de refinancement. Des échéances plus longues. Et surtout elles ont des possibilités de renégociation de prêt un peu plus flexibles que les banques de détail », expose Yann Gadea. « Les gens qui ont la capacité d’acheter font d’excellentes affaires », croit-il savoir.
Nous y voilà, avec une mensualité de 3 200 euros sur trente ans, à taux fixe, un acquéreur a perdu 200 000 euros de capacités d’emprunt en un an. « On empruntait à peu près 850 000 euros en début d’année 2022. Maintenant, 650 000. Comme le marché s’est corrigé de dix-quinze pour cent, il n’y a plus qu’un petit pas à faire », détaille le courtier d’AtHome. Il convient donc de s’endetter sur six ou dix années supplémentaires. Le marché devrait trouver son niveau d’équilibre autour d’un taux entre 2,3 et 2,8 pour cent.
Les prix des biens plafonnent avec le revenu des acquéreurs. Dans une note parue en 2020, l’observatoire de l’habitat indiquait que les dépenses de logement par rapport aux revenus, le taux d’effort, étaient plus élevées chez les locataires que chez les propriétaires, autour de quarante pour cent. Il s’élève à trente pour cent pour les propriétaires occupants. En 2019, 170 000 des 250 000 ménages luxembourgeois étaient propriétaires-occupants, soit 67 pour cent (contre 64 en 2010). Plus de la moitié d’entre eux doivent encore rembourser un emprunt lié. 34 pour cent des ménages avaient donc un emprunt en cours. Un quart des ménages paient un loyer au prix du marché privé. Cinq pour cent des ménages bénéficient d’un loyer modéré.
Mais ceux qui louent un appartement (en moyenne un ou deux ans plus vieux que les propriétaires endettés) bénéficient d’un revenu disponible moindre, avec un écart moyen de 25 000 euros sur l’année. Leur taux d’effort a en outre le plus augmenté entre 2016 et 2019, de 17,5 pour cent (contre 3,6 pour cent pour les propriétaires). Il sont donc les plus exposés à des hausses des prix. Or, si sur la dernière décennie les prix des loyers ont moins augmenté que ceux du mètre carré, ils se sont quand même renchéris de 47,4 pour cent (contre plus de soixante pour cent à l’acquisition). Le Luxembourg est en outre le pays européen où la dépense en logement est la plus importante. Des données à prendre en compte quand l’on envisage la location comme un pis-aller au renchérissement de l’acquisition immobilière.