d’Land : Le nombre de ventes en état futur d’achèvement (Vefa) sont en chute libre : moins 36 pour cent sur une année (au troisième trimestre 2022). Une décote des prix paraît désormais quasi-inévitable.
Henri Kox : Je serais heureux si les prix se stabilisaient un peu. Ces dernières années, nous avons connu un déséquilibre ; les prix se sont envolés par rapport aux revenus. Il serait important qu’on ait une correction. En ce moment, les promoteurs essaient probablement de maintenir leurs prix pour sauvegarder des liquidités….
Avez-vous une vue sur les marges réalisées dans le secteur de la promotion ?
Je pense qu’elles sont élevées, mais pas pour tous. C’est une image très contrastée. Ceux qui vont souffrir le plus vont être ceux qui ont tenté de sauter sur le train en marche au cours des deux dernières années. Il faut donc différencier. Mais nous avons en général un déficit de données. Nous n’observons le marché que depuis assez récemment, et la plupart de nos politiques se basent sur ces nouveaux chiffres.
L’État propose de racheter les Vefa aux promoteurs en crise. Qui sont les promoteurs qui frappent à votre porte ?
Je me tiens très éloigné des dossiers individuels et de leurs technicités. Car, en fin de compte, c’est moi qui vais donner la dernière signature. Mais les négociations devront être transparentes et faciles à comprendre, et non pas à la tête du client. Ce que l’État promettra à l’un, il devra également l’accorder à l’autre. Une cellule interministérielle, qui réunit des fonctionnaires du Logement et des Finances, a été créée. Les Vefa proposées, elle en fait l’analyse sous différents angles : Correspondent-elles aux programmes de nos promoteurs publics qui vont devoir en assurer la gestion ? Sont-elles accessibles du point de vue de la mobilité ? La taille des logements et le nombre de chambres sont-ils adaptés ?
Vous évoquiez une première fois ce programme fin novembre. À ce jour, aucune transaction n’a encore été signée ?
Je n’en ai signé aucune, mais les négociations sont en cours. Il y en a beaucoup qui sont en route. Je ne veux pas citer de chiffre, mais mon souhait est qu’il y en ait autant que possible. Il faudra en prendre le maximum. Au sein du gouvernement, j’ai demandé qu’on nous mette à disposition les moyens nécessaires dans le cadre du Fonds spécial [de soutien au développement du logement].
Qui prévoit actuellement quelque 200 millions d’euros pour l’aide à la pierre…
À peu près, oui. Mais cet argent sert à financer des projets qui sont déjà en train d’être réalisés avec les communes, les ASBL et les promoteurs publics. Il s’agit de quelque 3 200 logements, auxquels s’ajouteront cinq projets d’envergure qui vont être prochainement votés au Parlement. Mais si nous voulons réellement nous montrer à la hauteur de l’urgence, ces 200 millions ne suffiront pas. Nous aurons besoin d’un demi-milliard d’euros par année. Nous entrons dans une nouvelle dimension que nous devons à présent cerner. Je ne peux dire ce qui en ressortira.
Vous refusez pourtant de faire un bail out généralisé pour le secteur ?
Certaines des offres ne sont pas sérieuses… Je ne vais pas payer des plus-values privées avec de l’argent public. L’objectif doit être clair et dans intérêt général. Sinon l’argent dépensé risquera d’être qualifié comme aide d’État par Bruxelles. Les promoteurs privés devront être traités de la même manière que les promoteurs publics, les ASBL et les communes ; sans pousser les prix et sans faire de faveurs.
Si on s’en tient au « Cahier des charges pour le développement de logements abordables », on arriverait à environ 8 000 euros mètre carré ?
Non, il s’agit là du montant maximal !
Dans la capitale et ses alentours, aucun promoteur ne vous vendra à ce prix, sachant que sur le marché privé les montants pouvaient y dépasser les 13 000 euros le mètre carré. À moins qu’il soit totalement aux abois…
Je n’en serais pas si sûr. Mais encore une fois : Je n’ai pas d’aperçu détaillé sur ces dossiers ; je ne veux pas savoir quels promoteurs ont frappé à notre porte. Mais l’un ou l’autre s’est publiquement affiché aux Assises du Logement, dont Tracol et Kuhn. Mon souhait, c’est que la demi-douzaine d’experts du comité d’acquisition puissent traiter les dossiers avec la sérénité et le sérieux nécessaires. Et qu’ils puissent conclure.
Ce samedi, le DP a relancé l’idée d’une sorte d’obligation d’État avec rendement garanti destinée aux épargnants qui veulent investir dans le logement durable. Que vous inspire cette proposition ?
Elle n’est pas à l’ordre du jour au sein de la coalition. D’ailleurs, je n’ai pas encore vu de calcul. Actuellement, le loyer chez le Fonds du Logement est de 5,60 euros le mètre carré. Ces locations sont donc subventionnées à quasiment cent pour cent. Je ne vois donc pas comment l’État garantirait un rendement à d’éventuels investisseurs privés.
Et si l’État vendait ces logements sous emphytéose ?
À la limite, oui. À mes yeux, une des obligations de l’État c’est de pomper des fonds publics dans le marché du logement, afin de garantir des prix abordables. Avec l’objectif de constituer, dans un avenir plus lointain, un parc public représentant vingt, voire trente pour cent.
De nombreux grands promoteurs ont mis leurs projets immobiliers au congélateur, quitte à vendre l’un ou l’autre terrain pour financer les intérêts à la banque. C’est le grand gel.
Nous élaborons actuellement des aides individuelles [destinées aux particuliers] pour amoindrir la charge des intérêts via des subventions ciblées. Ces aides passeront de vingt à quarante millions d’euros. Mais ce n’est pas comme si la crise ne frappait que le Luxembourg. Le plus important bailleur à Berlin, Vonovia, vient ainsi d’arrêter tous ses projets de nouvelles constructions. Il y a une césure. Nous sortons d’une surchauffe alimentée par des taux extrêmement bas qui ont poussé d’énormes flux d’investissements dans l’immobilier. L’insécurité actuelle tient donc notamment au fait qu’on n’est plus habitué à opérer avec des taux d’intérêts normaux, réels.
Aux Assises du Logement vous avez loué les Plans d’action local logement (PAL) concoctés par les communes. La demi-douzaine que j’ai pu lire ne m’apparaissent pourtant pas particulièrement ambitieux : Surtout pas trop de densification ; des logements sociaux oui, mais sans exagérer. L’impression qu’on en retire, c’est que les communes et leurs services sont débordées.
Une cinquantaine de PAL sont jusqu’ici entrés au ministère. Nous avons écrit la partition, mais la musique se joue ailleurs, dans les communes. Elles sont l’alpha et l’oméga. Ce sont elles qui négocient et qui autorisent. Ce sont surtout elles qui doivent faire passer les décisions auprès de leurs citoyens. Nous leur offrons de nouveaux instruments, à commencer par un conseiller qui doit les aider à s’y retrouver. Car de nombreuses communes n’avaient jamais perçu le logement abordable comme une priorité. Pour elles, le trépied restait le même qu’en 1789 : salubrité, tranquillité, sécurité. Mir musse Gemenge mat an d’Boot huelen.
Mais les communes veulent-elles vraiment être embarquées ? Quel est leur intérêt à créer des logements abordables ? Certaines n’y voient que des ennuis : maisons-relais, stations d’épuration, de nouveaux résidents « bäigeprafft » et peu nantis …
Lorsqu’un promoteur réalise un projet privé, la commune doit également construire des maisons-relais et des stations d’épuration. Le droit au logement est une obligation morale que nous venons d’ailleurs d’inscrire dans la Constitution. Elle engage aussi les communes. Le cadre que nous avons créé se doit d’être aussi cohérent et ciblé que possible, avec une obligation de résultat qui n’existait pas auparavant. Le Pacte Logement 1.0 était en réalité un pacte d’infrastructures. Si l’article 29 de la loi de 2004 concernant l’aménagement communal avait dès l’origine été conçu de manière plus contraignante, 5 200 logements abordables auraient pu être construits. Nous avons tenté de rectifier le tir avec le Pacte Logement 2.0 qui introduit une obligation pour toutes les communes d’appliquer l’article 29. [Ce dispositif garantit aux communes dix à vingt pour cent des surfaces au sein de chaque nouvelle résidence construite.]
Constatez-vous un changement de mentalité chez les responsables communaux ?
Un début de changement, oui. Mais cela reste insuffisant. Une dynamique est née, mais il y a toujours des communes où un projet de six logements suffit à provoquer une pétition que 148 sur 149 riverains vont signer. C’est pourquoi il faut discuter, rencontrer les gens. Ech muss de Staf huelen…
La densité continue à horripiler. Pourquoi ne pas afficher l’objectif de faire de la capitale une métropole de 500 000 habitants ? Personne ne semble avoir envie d’entendre cela. Du moins il ne se trouve aucun parti pour mettre de telles visions urbanistiques en avant.
La peur devant la densification est extrêmement difficile à surmonter. Elle est liée à une fausse conception de la mobilité. Aujourd’hui, quand on dit densité, on pense voitures, parkings et problèmes. Prenez le projet « Nei Schmelz » à Dudelange…
… dont la densité est terriblement faible.
C’est le résultat d’une négociation… Nous en étions à trente logements par hectare, nous en sommes désormais à cinquante.
Sur une friche industrielle directement en face d’une gare ferroviaire !
Je me suis battu pour avoir plus de densité. Les cinquante logements par hectare, c’est ce que nous avons arrêté ensemble, au bout de discussions entre trois ministères d’un côté, et la commune de Dudelange de l’autre.
Et qu’en disait le président du LSAP ?
C’est le maire de Dudelange.
Oui, justement.
Le résultat est ce qu’il est. J’aurais aimé avoir plus. Le centre-ville de Dudelange a une densité de 80 logements par hectare. Je dis toujours : un magasin ne peut que fonctionner s’il y a une certaine densité qui l’entoure. Sur les hauteurs de Remich, au « Buschland », on a fait construire dans les années 1960 des cités avec 19 logements par hectare. Aucun commerce ne pouvait s’y implanter ; la vie ne naissant que s’il y a la masse critique nécessaire. Mais cette masse critique ne doit pas non plus conduire à un effondrement. Le problème, c’est qu’on prend toujours le point de vue de la mobilité individuelle.
Avant de devenir ministre, vous aviez été bourgmestre. Quelle est aujourd’hui votre vue sur la souveraineté en matière urbanistique qu’exercent les communes ? Celle-ci vous apparaît-elle comme un facteur de blocage ?
En effet, il faudra beaucoup plus en discuter. Sinon nous n’arriverons pas à implémenter notre stratégie.
Vous plaidez donc pour plus de centralisme ?
Non, pas du centralisme, mais une obligation de résultat. Si on veut passer de trois à vingt pour cent de logements abordables en main publique, on ne peut que le faire avec les communes. L’article 29 bis est dotée d’un automatisme. Aucune commune ne pourra s’y soustraire. À mes yeux, les pourcentages devraient être revus à la hausse. Alors que ce mécanisme ne s’applique actuellement qu’aux nouveaux quartiers, il faudrait aussi se demander s’il ne faudrait pas l’élargir aux quartiers existants.
Quand on analyse vos trois grands projets, à savoir le 29 bis, l’impôt de mobilisation et la taxe sur les logements vacants, on se rend compte qu’ils ont un point commun : il s’agit à chaque fois d’un transfert de compétences des communes vers l’État.
Je n’enlève rien, je fais quelque chose de supplémentaire.
Ce n’est pas ainsi que le voit le Syvicol…
J’ai été bourgmestre pendant neuf ans, et j’ai été beaucoup attaqué, parce qu’à l’époque déjà, je voulais réaliser à Remich la politique que je défends aujourd’hui au ministère. Je faisais racheter des parcelles pour un grand projet de logements abordables sur les quarante hectares du « Gewännchen » qui se trouve dans le périmètre depuis à peu près un demi-siècle. Mais le problème, c’est que pour faire un remembrement urbain, il faut que cent pour cent des propriétaires soient d’accord. C’est une forme d’absolutisme : Un propriétaire peut dicter aux 99 autres propriétaires si quelque chose peut se faire ou non. Si j’ai échoué à Remich, c’est que ce maudit remembrement ministériel n’était toujours pas prêt. Contrairement à ce que l’on dit souvent, il ne s’agit pas d’une expropriation : c’est juste un échange de terrains qui permet aux 99 autres propriétaires de réaliser leur projet.
Il y a un an, le Conseil d’État a dézingué le remembrement ministériel, ainsi que le « Baulandvertrag » : pas moins de 29 oppositions formelles.
Les amendements sont actuellement devant le Conseil d’État. J’ai été parmi ceux qui ont poussé pour que le projet de loi soit si contraignant. Si on fait entrer des terrains dans le périmètre, on doit également fixer une obligation de construire. (Et non simplement de lotisser, sinon ces terrains seront les Baulücken de demain.) Quant au remembrement ministériel, c’est un instrument central, puisqu’il agit sur le périmètre existant. Dès que nous l’aurons, de très nombreux projets pourront être débloqués. Cela va créer une nouvelle dynamique.
La jurisprudence de la Cour administrative reste, elle aussi, fortement imprégnée de l’esprit propriétariste. Y a-t-il, au Luxembourg, un verrou institutionnel et idéologique sur la question du foncier et de l’immobilier ?
Ech si jo och vum Wënzer, vum Bauer. Je sais ce que cela signifie de discuter de Schollen, d’échanges de terrains et de tout le reste. C’est une histoire séculaire. Cette mentalité nous l’avons toujours. Elle explique la politique menée ces cinquante dernières années : nous avons construit des logements publics pour aussitôt les privatiser. Parce qu’il y avait toujours cette idée qu’il fallait faire accéder les gens à la propriété. Cette philosophie est en train de s’écrouler. J’espère faire passer le message qu’une location n’est pas quelque chose de néfaste, qu’elle peut au contraire être un modèle de vie pour une partie des gens. À condition qu’il s’agisse de loyers abordables et garantis. Mais pour cela il faudra un stock massif de logements publics.
En attendant, la location est moins l’expression d’un « modèle de vie » que synonyme de précarité.
Pousser les gens dans la propriété, c’est les pousser dans la précarité, étant donné l’état actuel du marché.
Entre l’urgence de la crise du logement et la lenteur des procédures législatives, le déphasage est presque comique. Les impôts sur les terrains et logements vacants ne vont atteindre des niveaux réels que vers le milieu des années 2030 ; au plus tôt.
Au moins, avons-nous déposé les projets de loi. Nous avons parcouru du chemin et nous en avons fait un sujet. Quant à l’article 29 bis, la porte est désormais grande ouverte. Ce sera au prochain gouvernement de réfléchir à des facteurs accélérateurs.
Quant au Registre national des logements, sur lequel devra se baser la taxe sur les logements vacants, il paraît incertain que les communes réussissent à l’établir.
Préféreriez-vous que je ne fasse rien ?! Certaines communes le font déjà ! Ettelbruck le fait, Esch le fait, Differdange le fait.
Cela en fait trois sur cent.
Cela fait trois que j’ai cité, il y en a beaucoup plus. Il faut bien commencer quelque part. Vu que nous ne pouvons pas imposer tout du haut vers le bas, nous devons embarquer les communes. Mais je ne vais pas me rendre dingue en me fixant sur la centième commune.
Le prochain gouvernement ne devrait-il pas créer un super-ministère comprenant le Logement, l’Aménagement et l’Intérieur ?
Ce serait un modèle qu’on pourrait envisager. Mais un tel ministère devra fonctionner de manière indépendante des communes, puisqu’on ne peut pas être à la fois juge et partie. Le ministère de l’Intérieur, qui a la tutelle des communes, devra donc rester en-dehors d’un tel super-ministère. À moins de redéfinir le ministère de l’Intérieur. Au Conseil du JAI [Justice et affaires intérieures] à Bruxelles, je suis le seul ministre de la Police : tous les autres sont ministres de l’Intérieur, c’est-à-dire qu’ils sont responsables de la sécurité intérieure, de la sécurité civile et de l’immigration.
Entre les ministères de l’Aménagement et celui de l’Intérieur, il existe des rivalités anciennes.
C’est horrible. Il y a énormément de rivalités au sein de l’État, j’ai pu m’en rendre compte dans ma fonction de ministre. La volonté politique devrait être de briser ces obstacles.
Il y a huit ans, le gouvernement promettait déjà la fin de « la pensée en silo ».
Cela ne fait que trois ans et demi que j’en suis !.