Rien. Il ne se passe strictement rien au Luxembourg durant cette semaine de l’Assomption, lorsque tous ceux qui ont pu se le permettre, y compris les membres du gouvernement grand-ducal, ont fait le pont et pris le large. Il ne se passe tellement rien que quatre journaux nationaux ont mis le quarantième anniversaire de la mort d’Elvis Presley en Une mercredi. Tout le monde est en vacances ? Non, à Saeul, petite commune endormie au centre du pays, les moissonneuses roulent à toute vitesse à travers champs, de puissants tracteurs avec leurs remorques à leur côté, sur lequel est immédiatement récolté le sillage de maïs qui servira de fourrage durant l’hiver.
Une douzaine d’exploitations agricoles sont encore en activité dans la commune, alors que jadis, « il y avait des paysans dans chaque maison ici » explique le maire Raoul Clausse. Comme beaucoup d’autres habitants, lui, le Miseler (il est natif de Grevenmacher), a acheté une ancienne ferme justement, quand il est arrivé ici, dans les années 1980, pour la retaper, « d’ailleurs, je n’ai toujours pas fini le chantier », rigole-t-il, alors qu’il a pris sa retraite en tant que professeur de français à l’École de commerce et de gestion en automne dernier. De jeunes paysans traversent la rue principale, appelée route d’Arlon, à toute vitesse sur leurs tracteurs flambant neufs, un frère, une sœur ou une petite amie sur le siège de l’accompagnateur. La moisson, ça ne rigole pas, surtout quand la météo annonce de la pluie pour le restant de la semaine.
Entre 7 heures du matin et 19 heures du soir, quelque 10 000 véhicules traversent la route d’Arlon en une journée d’été, avait estimé un relevé réalisé pour la commune ; en un jour de semaine normal, le trafic, principal fléau de la commune, doit donc être encore plus intense.
Records. « Nous sommes très contents d’être la plus petite commune du pays, plaisante Raoul Clausse (c’est son tempérament de plaisanter), cela nous apporte beaucoup d’attention publique ». Ainsi, il a déjà fait le tour des radios (RTL, Radio 100,7…), et les journaux y délèguent leurs reporters-stagiaires. C’est vrai que Saeul intrigue. Non seulement parce que, avec quelque 750 habitants seulement, divisés entre les cinq localités de la commune (Saeul, Calmus, Schwebach, Kapweiler et Ehner), on y est vite élu : en 2011, il y avait 453 électeurs inscrits ici, onze candidats pour sept élus communaux (système majoritaire), et Clausse a été véritablement « plébiscité » avec 248 voix (contre, par exemple, presque 14 000 voix pour Xavier Bettel, la même année aux communales de la capitale).
La commune intrigue surtout parce qu’elle a refusé, en 2013 par voie de référendum, l’idée même d’une fusion avec une autre commune. « La pression pour une telle fusion était alors énorme », se souvient Marc Fisch, échevin à Saeul et agriculteur à Calmus. Contrairement à Clausse, qui revendique son indépendance politique (on le sent plutôt libéral toutefois), Marc Fisch est membre d’un parti, le CSV, tout comme le deuxième échevin Gérard Zoller. Et c’était un ministre de l’Intérieur du CSV, Jean-Marie Halsdorf, qui voulait pousser les petites communes à fusionner afin qu’en naissent des entités locales plus grandes et plus efficaces. Son plan prévoyait de descendre à 70 communes (contre 105 aujourd’hui) ; pour Saeul, il imaginait une fusion avec, par exemple Tuntange. Mais c’eût été un autre canton, celui de Mersch, qui vote au Centre, alors que Saeul fait partie du canton de Rédange et donc de la circonscription Nord. « Nous avons déjà depuis trente ans de bonnes coopérations dans la région, avec la dizaine de communes du syndicat Réidener Kanton », souligne Marc Frisch, qui a soutenu, avec tout le conseil échevinal, qu’une telle fusion n’apporterait rien à la commune. Une très légère majorité des électeurs, 50,7 pour cent, étaient du même avis.
Le successeur au ministère de l’Intérieur, le socialiste Dan Kersch, a baissé la pression et Saeul continue seule. En gardant toutefois toujours un œil sur ses finances, modestes : c’est grâce à la vente d’un hectare de terrain qui lui appartenait à un promoteur immobilier, ce qui lui a rapporté 2,3 millions d’euros, que la commune a pu financer la construction d’un nouveau complexe socio-culturel. Une école, une maison-relais et une salle des fêtes pour « sept millions d’euros et quelques » s’enorgueillit le maire, qui ne cache pas sa fierté d’avoir réalisé ce projet. Ce qui le motive de continuer et de se présenter une troisième fois aux élections en octobre, parce qu’il voit qu’il y a encore « des choses à faire ».
Quelle croissance ? « Nous discutons souvent au conseil communal sur comment notre commune doit croître », explique Raoul Clausse. Car si lui s’est lancé en politique en 2005, c’était en réaction à la politique urbanistique qu’il jugea désastreuse de son prédécesseur, Nicolas Schockmel – surtout en réaction à cette résidence de quarante appartements construite alors au grand croisement qui mène vers Brouch. Ce gigantisme, de cela Clausse est persuadé, ne va pas avec une petite commune rurale comme la leur. Depuis, il applique une norme de quinze unités d’habitation – maisons unifamiliales et résidences – par hectare. Ce qui contraste avec l’urbanisation turbo d’une commune comme la voisine Tuntange, dont la population augmente très rapidement.
Saeul, à une quarantaine de kilomètres de la capitale, a ainsi gardé son charme rural, avec sa nature luxuriante, ses fermes et ses monuments religieux. Elle attire de nouveaux résidents issus des classes moyennes, « et c’est normal, le terrain est à 60 000 euros de l’are et pour se payer une maison à 600 000 ou 700 000 euros, il faut que les salaires entrent… », de cela Marc Fisch est conscient. Même s’il plaide, lui, pour une croissance douce, préservant du terrain pour l’agriculture.
Selon l’Index socio-économique par commune que le Statec vient de réaliser pour le ministère de l’Intérieur, Saeul se situe dans le peloton de tête des vingt communes du pays où les gens sont les plus riches. Le salaire médian s’y élève à 3 485 euros, seuls 5,4 pour cent de la population sont au chômage et la part des ménages monoparentaux y est, avec 4,1 pour cent, la plus basse de tout le grand-duché.
Fissure Alors, si les élus de Saeul sont d’accord sur leur volonté de continuer à grandir lentement et sans fusion afin de garantir la qualité de vie de tous les habitants, si tous soulignent que la politique politicienne et les enjeux de politique nationale n’ont rien à voir en politique communale, il y a bien un problème qui divise : la situation des églises. Car, comme l’explique Marc Fisch, qui est également membre d’une des deux fabriques d’église locales : les deux fabriques font partie de celles qui, regroupées au sein du syndicat Syfel, ont déposé plainte contre l’archevêque et le gouvernement pour protester contre cette grande restructuration des biens fonciers de l’Église catholique (que les fabriques ressentent comme une expropriation). Les fabriques de Saeul se sentaient donc pieds et poings liés dans cette histoire, dans l’impossibilité de négocier une reprise des cinq bâtisses sur le territoire de la commune (deux églises et trois chapelles) par la mairie. Qui pourtant était prête à faire une convention avec elles, « parce que nous ne voulons pas enlever la messe aux croyants », comme l’explique le maire. Donc, en l’absence de convention, les églises tomberont automatiquement entre les mains du nouveau Fonds central de l’Église, qui ne pourra probablement pas en assumer les frais et les vendra pour un euro symbolique à la commune. Seront-elles alors désacralisées d’office ? Les choses ne sont pas claires à ce stade.
Depuis, regrette Raoul Clausse, « läit d’Kromm an der Heck tëscht äis » (il y a de l’eau dans le gaz entre nous). Il imagine difficilement continuer comme avant. Comme quoi, même dans le calme d’une petite commune, les élections communales ont leur part de suspense.