#schengen_visa « Tu vois ! C’est exactement comme pour l’Union européenne : ils laissent entrer trop de pays trop vite, sans consolider l’existant. Ça ne peut pas marcher ! » Un couple de touristes francophones d’âge mûr déambule entre les postes interactifs du Centre européen, rue Robert Goebbels à Schengen, et a des idées bien arrêtées sur ce qui ne fonctionne pas dans cet espace de libre-circulation des citoyens que les millenials prennent pour acquis, n’appréciant ses avantages qu’après avoir voyagé hors de l’espace Schengen ou à l’occasion de plans anti-terroristes avec mise en place de contrôles aux frontières. Actuellement, l’espace Schengen compte 26 pays, dont le dernier, le Liechtenstein, est entré en 2011, après neuf pays de l’ancien bloc de l’Est en 2007. « Beaucoup de gens croient que Schengen est un acronyme, que les différentes lettres ne sont que les initiales de quelque chose de très complexe », sourit Martina Kneip, la directrice du Centre européen.
Quelque 40 000 personnes sont passées l’année dernière à Schengen, c’est la moitié d’un musée d’importance nationale dans la capitale. Et encore, c’était l’année durant laquelle le musée était fermé, suite à l’effondrement d’une partie du plafond de la grande salle. Les visiteurs furent alors comptés en face, dans le bâtiment construit sur un ponton et qui accueille le centre d’information touristique. Les gens y passent pour avoir des informations sur Schengen, sur le musée ou le célèbre accord signé en 1985 sur le bateau de plaisance Marie-Astrid, qui avait alors accosté juste ici. Ils veulent peut-être aussi en savoir plus sur la région, voire sur le Luxembourg tout entier ? « Une fois qu’ils sont chez nous, nous essayons de leur donner envie de voir aussi la capitale ou le Mëllerdall », explique Martina Kneip. On peut également y louer un vélo ou acheter des souvenirs de Schengen – du vin, bien sûr, ou encore une peluche en forme de lion avec le mot « Schengen » brodé sur son buste, des savons liquides avec un « Schengen » flottant dedans, des livres et gadgets plus classiques. « Beaucoup de touristes viennent en bus et commandent alors des visites guidées, continue Martina Kneip. Il y a par exemple beaucoup de touristes turcs, qui, parce qu’ils ne comprennent pas la langue, iront plutôt visiter les environs munis de leur selfie stick pour prendre des photos des environs qu’ils posteront sur leurs profils sociaux ». Martina Kneip suit sur son portable les gens qui font un « check in » virtuel à Schengen ou qui postent des photos avec des hashtags en rapport avec #schengen. Et est toujours impressionnée, dit-elle, de la fascination que génère Schengen auprès des citoyens de pays qui ne font pas partie de cet espace de libertés. Un #schengen_visa ou #visa_schengen est toujours un graal qu’on exhibe fièrement sur Facebook ou Instagram.
Fusion « Schengen est une commune avec une aura spéciale. Mais aussi avec des missions hors du commun », affirme Ben Homan (CSV), le maire de la commune depuis 2011. Il ne se représentera plus, « parce que vingt ans de politique, ça suffit ! » Avant d’être maire de Schengen, il l’était durant douze ans de Burmerange, commune qui a fusionné avec celles de Remerschen et de Wellen-stein en 2011. Aujourd’hui, la commune de Schengen comporte neuf localités, 32 kilomètres carrés et presque 5 000 habitants. La fusion, avalisée par des référendums dans les différentes communes et décidée par une loi votée au Parlement, a apporté plus de dix millions d’euros de la part de l’État à la commune. 2 500 euros par habitant, selon la règle de l’ancien ministre de l’Intérieur Jean-Marie Halsdorf (CSV), politique que l’actuel gouvernement Bettel/Schneider/Braz a interrompue. L’argent, précise le maire, a été et sera (il est versé en tranches durant dix ans) investi dans les réseaux d’approvisionnement en eau potable, en structures d’accueil, et, c’est original, dans l’achat de terrains sur lesquels la commune veut réaliser des projets de logement notamment.
Car si Schengen a cette aura internationale, c’est en même temps un traditionnel petit village mosellan qui est au cœur de la commune. 560 habitants, un bourg rural ayant toujours vécu de ses vignobles. « Pour les autochtones, l’histoire européenne et le centre touristique sont beaucoup moins marquants dans leur quotidien que le vin ou le fait qu’ils vivent à la lisière de deux pays voisins, l’Allemagne et la France », concède Martina Kneip. Au centre du village, des anciens prennent un verre en terrasse, des jeunes sortent du magasin bio, un viticulteur décharge son tracteur, une voiture électrique du service technique de la commune fait ses rondes et des automobilistes font la queue pour traverser le pont qui mène à Perl, côté allemand. Mais un lundi matin de juillet, le village semble comme endormi. Le microclimat le long de la Moselle fait qu’ici, des végétations méditerranéennes se sentent à l’aise, les nombreuses plantes en pots alignées devant les maisonnettes tapies le long des ruelles qui remontent la montagne font régner une ambiance de vacances. « Il faut être réaliste : les retombées économiques de la célébrité de Schengen sur le village sont minimes », juge encore Martina Kneip. Tout simplement parce qu’il n’y a plus d’hôtel ici, un seul restaurant, pas vraiment de magasins autres que d’alimentation.
Fierté nationale Et pourtant, ce lundi, deux maires, l’actuel et l’ancien de Remerschen, Roger Weber (CSV), sont de service aux alentours du Centre européen de Schengen. Le long de la Moselle, les stands de la kermesse, qui a eu lieu le week-end, sont démontés, et les stands pour la fête populaire entourant le passage du Tour de France, mardi, doivent être installés. Bien que le passage des coureurs ne durera que quelques minutes, les téléspectateurs du monde entier regarderont et Schengen veut se montrer sous son plus beau jour. Les techniciens de la commune s’affairent à monter les décorations, des bénévoles installent tables et bancs pour la restauration.
En parallèle avait lieu, mardi, un sommet informel de la Grande Région au Centre européen, le Premier ministre Xavier Bettel (DP) et la ministre de la Grande Région, Corinne Cahen (DP), recevaient leurs homologues régionaux de France, de Belgique et d’Allemagne, arrivant – symbole, symbole – par le Marie-Astrid et regardant le Tour sur place. Les accueillir et leur offrir un programme attractif fait partie des « missions hors du commun » définies par Ben Homan. À chaque anniversaire rond des accords de Schengen, les invités sont encore plus prestigieux, hommes d’État et chefs de gouvernement. Il faut être à la hauteur. Tout comme Ben Homan a fait des directs sur des chaînes de télévision américaines comme CNN pour défendre l’idéal des accords de Schengen lorsque la crise des réfugiés faisait réfléchir plusieurs pays européens à une fermeture des frontières. C’est beaucoup de responsabilité pour le premier citoyen d’une commune de même pas 5 000 âmes.
Enthousiasme Roger Weber est un homme affable. L’ancien maire de la commune de Remerschen est aujourd’hui encore conseiller communal et président de la Schengen asbl, créée par les communes de Schengen, Remich et Mondorf avec le but de promouvoir le tourisme régional. Elle exploite notamment le Centre européen et emploie Martina Kneip plus trois autres personnes. Les 200 000 euros de budget annuel proviennent pour moitié des trois communes et pour moitié du ministère du l’Économie, section tourisme. Parce que, de la signature des accords de Schengen, il n’existe qu’une seule photo officielle, le Centre européen invente toutes sortes de symboles auxquels sont censés pouvoir s’identifier les touristes. Il y a les trois stèles en acier rouillé, des plaques avec les noms des pays membres à même le sol, des sculptures munies d’étoiles (une pour chaque pays membre), deux morceaux du mur de Berlin et, depuis peu (2013), aussi une autre sculpture, elle aussi en acier rouillé, sur laquelle les visiteurs peuvent fixer un cadenas, comme un geste d’adhésion à l’idée de Schengen. Posés à quelques pas de distance l’un de l’autre, ces monuments à la liberté risquent de faire cacophonie. Mais cela semble fonctionner, il y a sans cesse des gens qui se prennent en photo devant l’un ou l’autre élément. « Nous devons raconter une histoire autour de la signature de cet accord, insiste Martina Kneip. Beaucoup de nos visiteurs savent tout sur le contenu des textes. Mais quand ils viennent ici, nous leur offrons des anecdotes, l’histoire derrière cette signature ».
Et parce que Schengen est avant tout une idée, un idéal, Roger Weber regorge d’inventivité pour la valoriser, la sanctuariser. Ainsi, l’asbl a déposé une demande auprès de l’Union européenne afin que Schengen puisse être classée en tant que « European Heritage », regroupant des sites historiques à travers le continent qui ont été essentiels dans la construction de l’Union actuelle – du cœur de l’Athènes antique en passant par la bibliothèque de l’Université de Coimbra au port de Gdánsk. Ensuite, il voudrait que Schengen soit également classé « patrimoine immatériel » de l’Unesco, comme la culture de la bière en Belgique, celle du café aux Émirats arabes ou en Turquie, la calligraphie mongole ou la procession dansante à Echternach. Et Roger Weber voudrait sensibiliser Corinne Cahen et Xavier Bettel à sa proposition de changer le nom de la Grande Région, de l’actuel Saar-Lor-Lux à « Schengen », persuadé que les pays voisins seraient fiers de faire partie d’une région connue jusqu’en Chine.
Terre-à-terre Avec la fusion, Schengen est devenu une grande commune – surtout en superficie. Il faut faire de la route pour rallier Burmerange, village rural sur le plateau, où on sent encore le purin en le traversant, ou Schwebsingen, petite bourgade marquée par la tradition viticole. Grâce à la fusion, l’administration communale a pu être professionnalisée, deux ingénieurs ont été engagés et le fonctionnement amélioré. Pourtant, le 8 octobre, et malgré le fait que le nombre d’habitants (4 900) dépasse désormais largement le seuil au-delà duquel les communes votent, en théorie, à la proportionnelle (3 000 habitants), Schengen restera encore une fois dans le régime du vote majoritaire. « Nous ne sommes pas prêts », estime Ben Homan, parce qu’il n’y aurait pas assez de candidats potentiels pour plusieurs listes politiques. Il y aura donc une liste unique cette fois encore, avec une quinzaine de candidats pour onze postes.
Ces dispositions transitoires sont inscrites dans la loi : lors du dernier scrutin, chacune des anciennes communes fut considérée comme une circonscription, avec une clé de répartition de cinq conseillers à élire pour les deux grandes communes et quatre pour Burmerange. Cette année, le conseil diminuera à onze membres et une seule circonscription. En 2023 seulement sera introduite la proportionnelle. Si Homan ne se présente plus, c’est parce qu’il trouve qu’il est temps pour un changement de génération, maintenant que le grand projet de la fusion, entamé il y a dix ans et dont il a été une des chevilles ouvrières, est terminé. Lui retournera à plein temps dans l’enseignement.
Pourtant, Ben Homan avait fait un excellent score en 2011, 1 204 voix, largement devant le deuxième élu, Georges Laux, également de Burmerange. Aux législatives de 2013, Il s’est classé premier du CSV au village, avec 1 578 voix, terrassant Françoise Hetto-Gaasch et Octavie Modert. À l’Est en général, le CSV a récolté presque 37 pour cent des suffrages – pas vraiment de quoi craindre les proportionnelles.