Au commencement, on ne décèle rien, ou presque. Une touche de couleur, à la pointe d’une tige verte. Doucement, elles bourgeonnent, s’allongent puis déploient leurs pétales. On les hume, on les butine, on les admire, bercées par le vent, pistil tourné vers le soleil… Souvent, on les arrache. On les déracine ou on les coupe, pour les retrouver privées de grand air dans des intérieurs à la décoration soignée. Beautés fragiles et éphémères, les fleurs fanent et il n’en reste rien.
Mais à l’heure où la cuisine végétale regagne peu à peu ses lettres de noblesse, où l’homme pose ses armes pour redevenir le cueilleur de ses débuts, les fleurs semblent soudain vouées à une autre destinée. Du centre de table qu’elle ornait jusqu’à présent, la fleur se retrouve aujourd’hui au cœur même de notre assiette, passant des mains aguerries des fleuristes, aux doigts des grands Chefs, qui les manient avec délicatesse du bout de leurs pinces fines.
Bien plus qu’une « touche féminine » ou qu’un « élément décoratif », qualificatifs qui lui collait aux pétales jusque-là, la fleur apporte avec ses couleurs et ses saveurs une vraie plus-value gustative et nutritionnelle aux mets qui l’accompagnent. Au-delà de leur faible apport calorique, leurs pigments colorés renferment entre autres des caroténoïdes – provitamine A – qui protègent nos cellules contre les agressions et le vieillissement, et des anthocyanes – vitamine P – qui facilitent la circulation sanguine. L’air de rien, calendulas, capucines, violettes et autres pâquerettes se sont ainsi faits une place bien à elles sur les étals des marchés, au point de faire de l’ombre aux herbes aromatiques dans les cuisines.
Car à l’instar du basilic, de la menthe ou de l’aneth, les fleurs, avec leur caractère bien défini, viennent apporter, hormis l’effet wow, un je-ne-sais-quoi de plus côté saveurs, s’inscrivant parmi la liste des ingrédients d’une recette à part entière. Le calendula par exemple, au goût légèrement piquant, relève les salades, les taboulés et donne la couleur du safran aux sauces qu’elle côtoie. La capucine et sa saveur poivrée, proche de celle du cresson, apporte du peps aux omelettes tandis que le bégonia et son goût légèrement acidulé permet de remplacer le citron dans un plat de poisson. La lavande quant à elle, utilisée à petites doses, rappelle le goût du romarin en venant délicatement parfumer les volailles rôties. Et comme la rose, dont on connaît déjà les sorbets et pâtisseries aromatisées, la violette, riche en provitamines A et C, est par exemple parfaite à l’heure du dessert, notamment dans les crèmes brûlées, mais aussi pour parfumer le vinaigre de vin blanc, les sirops et les gelées.
Et puis il y a ces fleurs plus originales encore, qui font mouche dans les soirées… Adepte de saucisson à l’heure où l’on sort le rosé et où le soleil redescend vers l’horizon ? Partez donc à la cueillette de quelques Germandrée tomenteuse, une plante étonnante qui sent fort la cochonnaille. Si vous êtes plutôt adepte de fruits de mer et de vin blanc les pieds dans le sable, plantez quelques semences de Mertensia Maritima dont l’appellation à elle seule donne le ton. Son fort goût d’huître ne vous laissera pas indifférent… Et puis il y a ma dernière découverte, la plante-fromage. Rare mais de moins en moins. Ses feuilles vous rappelleront le goût fort et prononcé du camembert coulant, celui dont on décèle immédiatement la présence et dont l’odeur « embaume » notre réfrigérateur des semaines durant… Un petit choc pour les papilles sur lesquelles la légèreté d’une délicate feuille ne préparait en rien à cette détonation de saveurs.
Bien sûr, comme pour les champignons, ne vous lancez pas dans la dégustation de fleurs sans vous munir d’un guide botanique. Oubliez les fleurs fanées, cueillez-les le matin et rincez-les simplement sous un filet d’eau… Évitez également les fleurs du bord des routes et les fleurs traitées – n’allez donc pas faire vos emplettes chez votre fleuriste. Si toutefois vous hésitiez encore à croquer les fleurs à pleines dents, débutez la découverte par petites touches, avec un cocktail au sirop de fleurs de Sureau, un beignet de fleur de courgette farcie ou une crêpe aromatisée à la fleur d’oranger… De quoi savourer pleinement la beauté du printemps.