Grâce aux progrès en matière d’égalité des sexes, accompagnés de l’avancée inexorable des nouvelles technologies, c’en est maintenant fini de la figure du pater familias prenant son petit déjeuner caché derrière son journal, ne tendant la main que pour recevoir une nouvelle dose de café. Maintenant, femmes et hommes, adultes et adolescents rivalisent d’impolitesse et partagent allégrement la mauvaise habitude de garder leur smartphone ou leur tablette à leur côté, pour s’informer de l’état du monde en même temps qu’ils partagent leurs repas. L’extension du domaine de l’information est inéluctable. La connexion en continu est en passe de devenir une réalité, même s’il faut se rendre à l’évidence, ce contenu connecté consulté continuellement semble plutôt tiré des pages du Bild-Zeitung que de celles du Monde Diplomatique. Dit autrement, dix années d’existence du smartphone auront suffi à vaincre trois siècles de revendications masculines sur le droit à faire pipi debout. La raison pour laquelle la majorité des hommes s’assoit désormais pour satisfaire ses besoins naturels est simple : on a désormais tendance à privilégier les activités qui nous laissent les mains libres. Surtout dans les zones couvertes par du wifi ou une connexion 4G.
Vous voulez des preuves ? Il suffit de constater la corrélation entre l’augmentation de la consommation de sushis et la hausse de part de marché des smartphones sur la dernière décennie pour se convaincre que manger avec une seule main est devenu un must. De même, il faut se rendre à l’évidence, le vélo et la trottinette sont dépassés, l’avenir est au monocycle ou au hoverboard. Un petit tour sur le Pont Rouge aux heures du déjeuner, par une météo clémente, vous montrera bien que les seuls à regarder devant eux, et pas sur leur écran, sont les cyclistes. L’explication semble simple : leurs mains tiennent le guidon, pas un téléphone. La promenade est périlleuse et l’on se demande s’il ne conviendrait pas d’entamer d’ores et déjà de nouveaux travaux d’élargissements du pont, pour réserver une voie aux personnes en déficit d’attention. On repense avec nostalgie à un monde où nos parents nous adressaient des reproches d’un âge où nos doigts ne caressaient pas frénétiquement des écrans : « ne reste pas les bras croisés », « ne garde pas tes mains dans les poches », voire « sors tes doigts du nez ». Même regarder un film à la télévision est devenu une activité schizophrène, où le moindre relâchement de l’intensité dramatique va nous inciter à regarder s’il n’y a pas plus intéressant sur Twitter. Un dernier exemple de libération de nos membres supérieurs : grâce aux cartes de paiement sans contact, que tout le monde s’évertue néanmoins à appuyer contre les lecteurs, il n’est souvent plus nécessaire de composer un code ni même, en théorie, de sortir sa carte de son portefeuille.
Alors si vous vous surprenez à avoir envie d’un petit swipe à gauche des plus jeunes membres de votre entourage, si vous craignez qu’il soit bientôt impossible de trouver une photo de vos enfants sans oreilles de lapin, ou avec une cascade arc-en-ciel qui sort de la bouche, il vous faut adopter d’urgence des mesures préventives. Par exemple, en trouvant des activités qui rendent impossible l’usage simultané d’un téléphone, parce que les mains seront déjà occupées. Dans le désordre, on citera : trapèze acrobatique chez Zaltimbanq, cours de natation à la Coque, tricot solidaire à la Villa Vauban, tir à l’arc à la « Flèche d’or ». Ou alors, pourquoi ne pas profiter des portes ouvertes ce samedi au conservatoire de la Ville de Luxembourg ? Entre 10 et 16 heures, il sera possible de découvrir des instruments au travers de différentes démonstrations et de se renseigner sur les différents enseignements proposés par l’institution de Merl. Et là, que votre progéniture choisisse de souffler dans un cor, frapper sur des percussions ou jouer de la harpe, vous pouvez être certain que ce sont autant d’heures passées loin des écrans. Ajoutez aux heures de solfège et de cours la pratique quotidienne et, pour les plus motivés, les concerts et répétitions avec la fanfare du quartier, et vous avez la solution parfaite, accessible dès six ou sept ans, peu onéreuse et extrêmement variée.
Après, rien ne garantit que cette solution soit totalement satisfaisante. Mais, au moins, si vous avez une famille nombreuse et que vous vous retrouvez avec accordéoniste, trompettiste, batteur et pianiste à domicile, vous regretterez peut-être le temps où tout le monde courbait la tête et surfait silencieusement sur son appareil personnel. Parce que, mis à part le chuintement émanant des casques des adeptes de vidéos de death metal à plein volume, il faut aussi reconnaître le principal apport de ces nouvelles technologies pour notre bien être personnel : le silence. Il est largement moins bruyant de discuter via WhatsApp que dans la vraie vie. Et, pendant ce temps-là, Papa peut rouvrir son journal et le lire. En paix.