Après sept années d’intense collaboration avec l’ingénieur Greisch de Liège, qui n’est autre que l’ingénieur de la Gare de Liège Guillemins de l’architecte Calatrava et du Grand Viaduc de Millau de Sir Norman Foster, Laurent Ney, d’origine luxembourgeoise, ouvre en 1998 son propre bureau d’ingénierie à Bruxelles et au Luxembourg. Ney [&]Partners se construisent rapidement une réputation comme ingénieur-conseil et collaborent avec des architectes tels que Kollhoff, Xaveer de Geyter ou Stéphane Beel. Shaping forces, une exposition, montée en 2010 par le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, présente en ce moment ses plus emblématiques ouvrages d’art à la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie.
Iwan Strauven, un des curateurs de l’exposition, parle de Ney comme d’un ingénieur avec un style propre et un intérêt pour la forme pure. Ney dit de lui-même que dans son travail de conception, il utilise les forces comme matière première de sa recherche de structure et de forme. Sa recherche pour la structure optimale devient un voyage de découvertes. On apprend ainsi que, à chaque nouveau projet, il essaie de se libérer d’une pensée hiérarchique, de typologies existantes, de modèles géométriques et de faire confiance à l’intuition. Contexte, matérialité, connections, géométrie, hiérarchie, stratégie d’étude et forme sont élevés en tant que concepts chez Ney[&]Partners, à partir desquels des contraintes sont choisies et constamment questionnées. L’important, c’est de poser les bonnes questions et de choisir les bons instruments de calculs, quitte à ce qu’ils viennent de l’industrie aéronautique ou navale.
Pour la passerelle de Knokke-Heist, le concept structurel est une tôle en acier courbe qui supporte toutes les charges et qui est suspendue depuis quatre points sur deux pylônes en Y. Le point de départ de cette forme est le modèle d’une poutre statique continue de laquelle on a enlevé toute matière superflue, c’est-à-dire qui ne participe pas directement à la stabilité de celle-ci. Des charges sont ensuite appliquées à ce modèle et ce sont elles qui génèrent la forme courbe. L’idée était que cette surface structurelle courbe contienne toutes les forces et qu’aucun élément structurel ne devait être ajouté. Le résultat est donc une tôle en acier courbe et découpée, sans poutres, haubans ou câbles.
Quelque part, on découvre à travers cette exposition, que dessiner un pont semble pouvoir être un exercice formidable simplement parce que la forme devient pure structure par le résultat de demandes statiques extrêmes.
Dans un entretien dans le livre qui accompagne l’exposition, Laurent Ney illustre la difficulté de s’affranchir des conventions ingénieurales, cependant propres à sa démarche, en prenant comme exemple le viaduc d’Oosterweel. Le viaduc d’Oosterweel doit relier le ring de la ville d’Anvers avec le nouveau tunnel sous l’Escaut. La trajectoire fixée pour ce viaduc prévoyait un pont à deux niveaux, vu le manque de place en milieu urbain et la nécessité de deux voies de circulation automobile pour chaque sens du trafic. Sur ses 2 270 mètres de trajectoire, Ney a décidé de diviser le pont en deux typologies différentes : un viaduc porté par des piliers pour les zones industrielles qu’il traverse, et un viaduc suspendu par des câbles pour la trajectoire qui enjambe le Canal Albert et le dock de Straatburg.
Le travail topologique de Ney se fait, dans ce projet-ci, au niveau des mats et de la section transversale du double niveau de circulation. Le pont a en effet été pensé comme un arrangement entre différents éléments, dont la géométrie a été modifiée en optimisant poids, taille ou hauteur. La section transversale du tablier est conçue en amande et permet de réduire les forces internes et donc la matière structurelle nécessaire. Les niveaux supérieurs et inférieurs de circulation sont connectés par un treillis tridimensionnel, ce qui permet de garder une section à géométrie constante tout au long de la trajectoire du viaduc.
L’aspect le plus intéressant du projet est révélé par la partie viaduc suspendu par des câbles. En augmentant la portée du viaduc, Ney a pu déplacer la force résultante du pylône à l’extérieur de la section du tablier. Grâce à cette seule augmentation de portée, un pylône unique au lieu de deux devient nécessaire, diminuant ainsi significativement l’empreinte au sol de la structure. Une autre étude paramétrique des forces allait étudier la forme de la tête de ces deux mats assemblés en un. Le résultat est étonnant même pour les ingénieurs. En effet, une tête de mat en forme de tête d’aiguille réduisait la matière et avait un effet favorable sur le moment de fixation à la base du mat incliné. Laurent Ney y décrit sa première réaction face à l’éventualité de cette nouvelle typologie hybride de pylône ouvert comme : « non, ce n’est pas correct ». Mais c’est précisément à ce moment-là, où on n’arrive plus à juger si quelque chose est bien ou pas, où on est envahi par un sentiment désagréable, parce que l’objet créé sort de notre entendement, qu’on arrive à créer quelque chose de nouveau.