Lorsqu’on parcourt les interviews que Dick Cheney a donné ces dernières années, il parle de valeurs comme honnêteté et intégrité. Il confirme, à propos de sa carrière politique, que si c’était à refaire, il referait tout pareil. Une affirmation pour le moins étonnante, compte tenu du fait qu’en tant que vice-président du gouvernement de George W. Bush, le même homme a fortement œuvré pour l’invasion de l’Irak sous un faux prétexte. Ainsi, Vice, le nouveau long-métrage d’Adam McKay, revient, sous la forme d’une comédie noire, sur une vie marquée par l’aspiration au pouvoir et une vision cynique des devoirs politiques.
Le générique du début informe le spectateur que le film est basé sur une histoire vraie, que tous les faits ne sont pas forcément exacts, mais que l’on s’est donné beaucoup de mal. On est clairement dans la caricature. Mais on sent que les 18 livres, biographies ou autobiographies, que l’auteur-réalisateur a lu sur son personnage principal en guise de préparation lui ont donné une image assez précise de l’essence de cet homme.
Après des débuts difficiles dus à des excès pendant sa vie étudiante, Dick Cheney parvient finalement à se ressaisir et à se munir d’une ambition inébranlable qui le mène à Washington. Une grande partie de cette détermination est attribuée à son épouse Lynne. À force de grimper les échelons politiques, commençant comme assistant de Donald Rumsfeld, il développera un sens impitoyable pour les opportunités de carrière et s’avèrera très habile dans l’exercice de ne pas laisser de traces potentiellement compromettantes. Ainsi, peu de documents relatent le contenu de ses réunions avec les PDGs des grands groupes pétroliers en amont de la guerre en Irak. En 2003, la multinationale parapétrolière Halliburton, le groupe dirigé par Cheney lui-même entre 1995 et 2000, décroche des gros contrats en Irak, ce qui lui vaut des critiques sévères.
Ceux qui croient que cette carrière laisse peu de marge au rire n’ont pas compté sur le scénario et la mise scène d’Adam McKay. Ici, les idées fusent et les deux heures remplies à ras bord d’informations passent à grande vitesse. Images documentaires, images fictives et la voix off d’un homme dont l’identité est seulement révélée à la toute fin se mélangent dans un jeu original sur le fond et la forme du biopic. Ainsi, par exemple, un faux générique de fin défile au moment où la carrière du républicain Cheney, qui vient de renoncer à une candidature présidentielle pour protéger sa fille homosexuelle, aurait pu finir sur une note humaine et emphatique. À un autre moment, le futur vice-président et son épouse discutent sous forme de dialogue shakespearien d’une entrevue avec George W. Bush.
L’incroyable transformation physique de Christian Bale, ayant pris une vingtaine de kilos pour interpréter Dick Cheney est un indice de son investissement et celui de ces collègues pour leurs rôles. Sam Rockwell montrant George W. Bush comme président malgré lui, Amy Adams en épouse et véritable moteur de l’ambition du vice-président et Steve Carell dans la peau de Donald Rumsfeld s’en donnent à cœur joie dans la caricature acerbe.
Il est difficile à comprendre comment Vice n’a pu remporter qu’un Oscar, celui du meilleur maquillage, sur les huit pour lesquels il a été nominé. Car d’ores et déjà, on peut considérer cette comédie comme un classique, qui ne manque pas d’ailleurs de faire un lien vers la situation politique actuelle aux États-Unis.